D’une main, Claire Goursaud déroule sa partition de chercheuse sur les systèmes de communication sans fil au sein de l’équipe-projet Maracas d’Inria. De l’autre, elle interprète la « musique classique » de l’enseignement. Elle y trouve un épanouissement personnel, tout en ouvrant le monde de la recherche aux futurs ingénieurs.
Comment s’organise votre métier d’enseignante-chercheuse ?
Depuis 2007, je suis maîtresse de conférences rattachée à l’Insa (Institut national des sciences appliquées) de Lyon, au département Télécommunications, services et usages (TC). Cela implique que je partage mon temps à parts égales entre l’enseignement et la recherche. Ainsi, je donne des cours et supervise plusieurs modules pour l’Insa. En parallèle, je mène mes recherches au sein de l’équipe-projet Maracas, commune à l’Insa et au Centre Inria de Lyon. Celle-ci est d’ailleurs intégrée au laboratoire Citi (Centre of innovation in telecommunications and integration of service), associé à l’Insa de Lyon et à Inria.
Je trouve que l’enseignement et la recherche se nourrissent mutuellement, de façon efficace et équilibrée. Faire les deux est donc très important pour moi : la recherche me permet de me lancer des défis intellectuels, tandis que l’enseignement comble mon besoin de partage et de transmission. De plus, être à la pointe de la connaissance sur les sujets de recherche alimente les cours et tire l’enseignement vers le haut. Et de l’autre côté, préparer les cours apporte un éclairage ou un questionnement différent sur ce qu’on pensait avoir compris.
Dans le détail, sur quels sujets portent vos recherches ?
L’équipe-projet Maracas travaille sur les systèmes de communication et cherche en particulier à permettre à plusieurs utilisateurs d’utiliser la même ressource, en gérant les interférences qu’ils génèrent entre eux. Un peu comme si, alors que plusieurs personnes dans une pièce parlent en même temps, je veux arriver à récupérer l’ensemble de leurs discours. Nous créons des algorithmes de détection qui permettent de réaliser des opérations sur les signaux reçus afin de séparer la contribution de chacun des utilisateurs, mais il faut que le système ait été configuré pour cela au départ. Pour poursuivre ma comparaison, il sera plus facile de séparer les discours entendus dans la pièce si chaque personne parle une langue différente !
Au sein de l’équipe, certains chercheurs étudient l’aspect théorique de ces communications afin de définir la limite de capacité, le débit sur un canal qu’il ne sera pas possible de dépasser. D’autres, dont moi, s’intéressent à l’aspect algorithmique permettant de se rapprocher le plus possible de cette borne théorique. Enfin, d’autres encore se penchent sur le déploiement de ces algorithmes dans la pratique.
Outre ces algorithmes de détection, je travaille sur les protocoles de communication, en particulier pour l’Internet des objets. L’avantage de ce domaine est que les données à communiquer sont assez petites. Par exemple, pour qu’une place de parking connectée dise si elle est vide ou pleine, il suffit d’un petit message, qui nécessitera peu de débit sur le canal de transmission. L’inconvénient est que les protocoles de communication sur ces canaux – destinés à organiser qui parle à qui et quand – sont conçus pour de grosses quantités de données… et à eux seuls finalement, nécessitent de transmettre plus d’informations que le message que nous voulons faire passer ! Nous cherchons donc à mettre au point de nouveaux protocoles, adaptés aux objets communicants.
Être à la pointe de la connaissance sur les sujets de recherche alimente les cours et tire l’enseignement vers le haut.
Et du côté de l’enseignement, de quels cours vous chargez-vous ?
Je suis responsable de la matière « Analyse et synthèse de documents scientifiques » pour les étudiants de 3e année de l’Insa Lyon. L’objectif est de donner des clés pour permettre aux futurs ingénieurs d’accéder aux articles scientifiques rédigés par des chercheurs. Au-delà de l’apprentissage des codes et des structures des articles, nous travaillons aussi à en faire la synthèse et la restitution, via des rapports ou des présentations poster.
J’interviens aussi dans un module très complémentaire, toujours pour les étudiants de 3e année, intitulé « projet d’initiation à la recherche ». Au cours de celui-ci, les élèves choisissent un projet qui les intéresse parmi ceux que proposent leurs enseignants-chercheurs et mènent des recherches pendant trois à quatre mois. Ceux que l’expérimentation a convaincus peuvent poursuivre en 4e et 5e année au sein d’un parcours recherche, qui leur dégage une partie de leur emploi du temps pour mener des recherches sur une thématique, toujours avec le soutien d’un chercheur. Et cela fonctionne : j’encadre personnellement environ cinq étudiants de 3e année tous les ans et il y en a toujours un qui continue par la suite vers le parcours recherche.
Enfin, j’ai mis sur pied une option à destination des étudiants de 5e année : l’algorithmie quantique. Il s’agit d’un nouvel axe de recherche pour lequel Inria m’a soutenue lorsque j’ai souhaité m’y intéresser, en 2017. Cette montée en compétences m’a motivée à partager ce sujet porteur avec les étudiants et ils s’en emparent doucement.
Pourquoi est-ce si important de sensibiliser les étudiants au monde de la recherche ?
Il faut décloisonner l’industrie et la recherche. Les futurs ingénieurs, même s’ils ne poursuivent pas leur carrière dans le monde de la recherche, ne doivent pas être effrayés par celui-ci, mais au contraire y puiser des ressources pour leur activité. Il s’agit vraiment de démystifier la recherche, de leur montrer qu’une bibliographie scientifique peut leur être utile et de changer ainsi les mentalités.
À quel instrument de musique associez-vous votre métier d’enseignante-chercheuse, et pourquoi ?
À la batterie. C’est un instrument où la main droite joue d’un côté, la main gauche de l’autre, il en est de même pour les pieds… et il faut faire en sorte que tout cela fonctionne ensemble et mélodieusement. Dans le métier d’enseignant-chercheur, la configuration est un peu la même, entre la recherche à proprement parler, les cours, l’administratif, l’organisationnel, et il faut pouvoir jongler avec tout cela harmonieusement !