Diriger sans mener à la baguette, voilà le credo d’Emmanuel Trélat, directeur du laboratoire de mathématiques Jacques-Louis Lions (LJLL), qui héberge cinq équipes-projets Inria. S’il se défend d’être un chef d’orchestre, il lui faut tout de même l’oreille musicale pour apprécier les tonalités variées qui résonnent dans son laboratoire.
Quels sont les rôles du laboratoire Jacques-Louis Lions, de Sorbonne Université et Université Paris Cité, que vous dirigez ?
Le laboratoire a été créé en 1969 par le mathématicien Jacques-Louis Lions, à qui nous devons le développement des mathématiques appliquées en France. Le LJLL est aujourd’hui sans doute le plus grand laboratoire de mathématiques appliquées au monde, regroupant 200 chercheurs, dont les membres de cinq équipes-projets Inria. Il a pour mission de couvrir les mathématiques sous leurs aspects théoriques et appliqués, ce qui conduit bien sûr à de nombreuses interactions avec d’autres disciplines et avec l’industrie.
Comment êtes-vous arrivé à la tête de ce laboratoire ?
Au départ, j’ai une thèse en géométrie, obtenue à l’université de Dijon en 2000 ; mais comme c’est souvent le cas dans notre milieu, les parcours bifurquent. Le mien a commencé à changer de trajectoire dès 2001, lorsque j’ai été recruté comme maître de conférences à l’université d’Orsay. Mes collègues m’ont suggéré de m’intéresser aux sciences numériques et cela m’a absolument passionné. J’ai aussi eu l’occasion de côtoyer des industriels et ces relations m’ont ouvert les yeux sur tout ce qu’il était possible de faire à partir des mathématiques appliquées. Puis je suis passé professeur à l’université d’Orléans et ensuite à Sorbonne Université. J’ai accepté en plus le poste de directeur de la Fondation Sciences mathématiques de Paris, qui chapeaute en quelque sorte l’ensemble de l’écosystème mathématique et informatique fondamentale de Paris Centre et Nord. L’expérience et la visibilité acquises m’ont mené à la direction du LJLL en 2020.
Qu’est-ce qui vous plaît dans cette fonction ?
Le sens du collectif : j’aime agir dans ce qu’on appelle la communauté des mathématiciens. Elle est réellement présente et forte en France, c’est l’une des raisons majeures qui font que les mathématiques françaises sont les premières au monde, et que j’aime participer à l’animation de cette communauté. J’écoute les besoins des uns et des autres et je contribue autant que possible à unir nos forces pour porter au plus haut niveau l’excellence des mathématiques françaises.
Ces interactions entre Sorbonne Université et Inria sont extrêmement bénéfiques : nous nous apportons mutuellement visibilité, vitalité et nous promouvons ensemble l’excellence sous toutes ses formes.
Au long de ce parcours, quel a été votre lien avec Inria ?
J’ai commencé à prendre conscience de l’importance d’Inria, de sa visibilité, lorsque j’étais à l’université d’Orsay. L’institut est une référence en France et à l’international et offre en outre d’excellentes conditions de recherches à ses personnels, ainsi qu’une forte exposition au monde industriel. Et celle-ci permet de nouer des contrats, de se poser de nouvelles questions, c’est stimulant ! J’ai donc eu envie de participer à tout cela et en 2006, j’ai intégré l’équipe-projet Inria Commands comme membre externe. En 2011, je l’ai quittée puis j’ai rejoint en 2017 l’équipe-projet Inria Cage, qui se concentre sur la théorie mathématique du contrôle, en d’autres termes, du pilotage de systèmes. J’y mène des recherches en mathématiques appliquées au domaine de l’aérospatiale, qui me fascine depuis que je suis enfant. Je pilote ainsi des fusées, des satellites, des navettes spatiales de façon virtuelle, depuis mon siège !
Vous êtes donc à l’interface entre Sorbonne Université et Inria ?
Tout à fait ! Mes liens sont très forts avec les deux organismes : j’enseigne et je dirige un laboratoire pour la première, je fais partie d’une équipe de recherche du second et mon laboratoire héberge certains de ses chercheurs. Ces interactions entre Sorbonne Université et Inria sont extrêmement bénéfiques : nous nous apportons mutuellement visibilité et vitalité, nous promouvons ensemble l’excellence sous toutes ses formes et assurons le transfert de connaissances, que celui-ci se fasse via les publications scientifiques, l’enseignement, les prix obtenus ou les projets industriels. La politique de recrutement d’Inria est pour Sorbonne Université une opportunité d’attirer des chercheurs brillants qui augmentent le rayonnement du laboratoire grâce à notre collaboration. Et l’inverse est également vrai : nous sommes toujours meilleurs en étant unis.
Un regret au milieu de toute cette activité ?
Celui de ne pas avoir créé de startup… et aujourd’hui le temps me manque. L’industrie spatiale européenne va assez mal et aurait besoin de sang neuf ; j’encourage donc mes doctorants et mes jeunes collègues à se lancer dans le monde industriel. La collaboration avec Inria nous est très profitable sur ce point : l’institut soutient fortement la création de startup et soutient leur développement via le Startup Studio. À défaut d’avoir lancé une startup, j’ai envie d’aider les autres à le faire !
Si vous deviez associer un style musical à votre métier de directeur de laboratoire, lequel choisiriez-vous et pourquoi ?
Pas de style particulier mais plutôt une joyeuse cacophonie. Certains sons ne sont pas encore très agréables à l’oreille car il s’agit d’études qui débutent, les chercheurs tâtonnent… tandis que d’autres sont des symphonies très achevées, de beaux projets, des prix obtenus. En revanche, je refuse de jouer les chefs d’orchestre de tout ce petit monde : notre laboratoire est collaboratif, les décisions stratégiques sont prises ensemble.