Maîtresse de conférences et chercheuse : Claire Goursaud joue en rythme

D’une main, Claire Goursaud déroule sa partition de chercheuse sur les systèmes de communication sans fil au sein de l’équipe-projet Maracas d’Inria. De l’autre, elle interprète la « musique classique » de l’enseignement. Elle y trouve un épanouissement personnel, tout en ouvrant le monde de la recherche aux futurs ingénieurs.

Comment s’organise votre métier d’enseignante-chercheuse ?

Depuis 2007, je suis maîtresse de conférences rattachée à l’Insa (Institut national des sciences appliquées) de Lyon, au département Télécommunications, services et usages (TC). Cela implique que je partage mon temps à parts égales entre l’enseignement et la recherche. Ainsi, je donne des cours et supervise plusieurs modules pour l’Insa. En parallèle, je mène mes recherches au sein de l’équipe-projet Maracas, commune à l’Insa et au Centre Inria de Lyon. Celle-ci est d’ailleurs intégrée au laboratoire Citi (Centre of innovation in telecommunications and integration of service), associé à l’Insa de Lyon et à Inria.

Je trouve que l’enseignement et la recherche se nourrissent mutuellement, de façon efficace et équilibrée. Faire les deux est donc très important pour moi : la recherche me permet de me lancer des défis intellectuels, tandis que l’enseignement comble mon besoin de partage et de transmission. De plus, être à la pointe de la connaissance sur les sujets de recherche alimente les cours et tire l’enseignement vers le haut. Et de l’autre côté, préparer les cours apporte un éclairage ou un questionnement différent sur ce qu’on pensait avoir compris.

Dans le détail, sur quels sujets portent vos recherches ?

L’équipe-projet Maracas travaille sur les systèmes de communication et cherche en particulier à permettre à plusieurs utilisateurs d’utiliser la même ressource, en gérant les interférences qu’ils génèrent entre eux. Un peu comme si, alors que plusieurs personnes dans une pièce parlent en même temps, je veux arriver à récupérer l’ensemble de leurs discours. Nous créons des algorithmes de détection qui permettent de réaliser des opérations sur les signaux reçus afin de séparer la contribution de chacun des utilisateurs, mais il faut que le système ait été configuré pour cela au départ. Pour poursuivre ma comparaison, il sera plus facile de séparer les discours entendus dans la pièce si chaque personne parle une langue différente !

Au sein de l’équipe, certains chercheurs étudient l’aspect théorique de ces communications afin de définir la limite de capacité, le débit sur un canal qu’il ne sera pas possible de dépasser. D’autres, dont moi, s’intéressent à l’aspect algorithmique permettant de se rapprocher le plus possible de cette borne théorique. Enfin, d’autres encore se penchent sur le déploiement de ces algorithmes dans la pratique.

Outre ces algorithmes de détection, je travaille sur les protocoles de communication, en particulier pour l’Internet des objets. L’avantage de ce domaine est que les données à communiquer sont assez petites. Par exemple, pour qu’une place de parking connectée dise si elle est vide ou pleine, il suffit d’un petit message, qui nécessitera peu de débit sur le canal de transmission. L’inconvénient est que les protocoles de communication sur ces canaux – destinés à organiser qui parle à qui et quand – sont conçus pour de grosses quantités de données… et à eux seuls finalement, nécessitent de transmettre plus d’informations que le message que nous voulons faire passer ! Nous cherchons donc à mettre au point de nouveaux protocoles, adaptés aux objets communicants.

Être à la pointe de la connaissance sur les sujets de recherche alimente les cours et tire l’enseignement vers le haut.

Et du côté de l’enseignement, de quels cours vous chargez-vous ?

Je suis responsable de la matière « Analyse et synthèse de documents scientifiques » pour les étudiants de 3e année de l’Insa Lyon. L’objectif est de donner des clés pour permettre aux futurs ingénieurs d’accéder aux articles scientifiques rédigés par des chercheurs. Au-delà de l’apprentissage des codes et des structures des articles, nous travaillons aussi à en faire la synthèse et la restitution, via des rapports ou des présentations poster.

J’interviens aussi dans un module très complémentaire, toujours pour les étudiants de 3e année, intitulé « projet d’initiation à la recherche ». Au cours de celui-ci, les élèves choisissent un projet qui les intéresse parmi ceux que proposent leurs enseignants-chercheurs et mènent des recherches pendant trois à quatre mois. Ceux que l’expérimentation a convaincus peuvent poursuivre en 4e et 5e année au sein d’un parcours recherche, qui leur dégage une partie de leur emploi du temps pour mener des recherches sur une thématique, toujours avec le soutien d’un chercheur. Et cela fonctionne : j’encadre personnellement environ cinq étudiants de 3e année tous les ans et il y en a toujours un qui continue par la suite vers le parcours recherche.

Enfin, j’ai mis sur pied une option à destination des étudiants de 5e année : l’algorithmie quantique. Il s’agit d’un nouvel axe de recherche pour lequel Inria m’a soutenue lorsque j’ai souhaité m’y intéresser, en 2017. Cette montée en compétences m’a motivée à partager ce sujet porteur avec les étudiants et ils s’en emparent doucement.

Pourquoi est-ce si important de sensibiliser les étudiants au monde de la recherche ?

Il faut décloisonner l’industrie et la recherche. Les futurs ingénieurs, même s’ils ne poursuivent pas leur carrière dans le monde de la recherche, ne doivent pas être effrayés par celui-ci, mais au contraire y puiser des ressources pour leur activité. Il s’agit vraiment de démystifier la recherche, de leur montrer qu’une bibliographie scientifique peut leur être utile et de changer ainsi les mentalités.

À quel instrument de musique associez-vous votre métier d’enseignante-chercheuse, et pourquoi ?

À la batterie. C’est un instrument où la main droite joue d’un côté, la main gauche de l’autre, il en est de même pour les pieds… et il faut faire en sorte que tout cela fonctionne ensemble et mélodieusement. Dans le métier d’enseignant-chercheur, la configuration est un peu la même, entre la recherche à proprement parler, les cours, l’administratif, l’organisationnel, et il faut pouvoir jongler avec tout cela harmonieusement !

Coporteur de chaire : faire une place à l’impro !

Suivre son rythme, proposer son style, improviser parfois et rester ouvert aux accords qui pourraient naître avec des partenaires de recherche. Voilà les principes qu’applique Xavier Alameda-Pineda, spécialiste de la robotique et de l’intelligence artificielle (IA) chez Inria, et coporteur d’une chaire à l’institut MIAI Grenoble Alpes.

Vous êtes responsable de l’équipe-projet RobotLearn chez Inria ; quels sont ses objectifs ?

Notre travail vise à rendre les robots socialement intelligents, c’est-à-dire à les doter par exemple de la capacité à savoir quand il leur faut parler, comment il leur faut se positionner pour bien comprendre leurs interlocuteurs et faire vraiment partie de la conversation, etc. Nos recherches portent sur les algorithmes d’apprentissage automatique qui permettent aux robots de mieux s’adapter à de nouvelles situations : l’environnement du robot peut en effet changer brutalement, ne serait-ce que lorsqu’il passe d’une pièce à une autre et que la luminosité et les bruits d’ambiance ne sont plus les mêmes.

Ces recherches sont-elles proches de celles menées par le projet européen Spring que vous coordonnez ?

Oui, puisque l’objectif de Spring (Socially Pertinent Robots for Gerontological Healthcare) est de pouvoir disposer d’un robot social dans la salle d’attente d’un hôpital de jour. Dans ce lieu, les patients passent de longs moments entre leurs rendez-vous. Avoir un robot qui puisse répondre à leurs questions et faire la conversation permettrait d’une part de soulager le personnel soignant, qui serait moins sollicité, et d’autre part d’améliorer l’expérience des patients en leur proposant une interaction sociale. Le projet, qui a démarré en janvier 2020, a permis de rendre les robots plus robustes aux réverbérations par exemple, mais aussi d’améliorer leurs capacités en matière de conversation. Nous commençons donc à faire les premières expérimentations en conditions réelles au sein de l’hôpital Broca (AP-HP) à Paris.

Grâce aux interactions avec d’autres chercheurs, nous faisons naître des collaborations qui sont bénéfiques pour tout le monde.

Travailler en partenariat avec d’autres experts de l’IA, c’est l’une des clés de l’Institut MIAI, dont vous faites partie ?

Tout à fait : l’Institut MIAI Grenoble Alpes (Multidisciplinary Institute in Artificial Intelligence) rassemble plus de 200 personnels permanents académiques, plus de 80 partenaires industriels, plus de 150 doctorants ou postdoctorants et ingénieurs, autour de l’intelligence artificielle.  Il offre donc un cadre de vie scientifique commun, avec des réunions tous les mois au cours desquelles les porteurs des chaires présentent leurs avancées. Ainsi, même si nous nous connaissons déjà entre chercheurs, l’institut crée des occasions de collaborer de façon plus approfondie. D’autant qu’il nous en donne aussi les moyens, en finançant par exemple des bourses de thèses communes.

Quel est votre rôle au sein de l’Institut MIAI Grenoble Alpes ?

Je suis coresponsable de la chaire « Audio-visual machine perception and interaction for companion robots », que nous avons proposée en parallèle au projet Spring, mais qui est davantage détachée de l’application hospitalière et spécifiquement concentrée sur la fusion des données audio-visuelles. En d’autres termes, il s’agit d’aider les robots à faire ce que nous faisons sans nous en rendre compte : intégrer à la fois les sons et les images lorsque nous observons une scène pour mieux la comprendre. Nous travaillons en particulier sur le rehaussement de la parole, c’est-à-dire sur la capacité à pouvoir isoler la parole propre du bruit environnant en s’aidant d’informations visuelles.

Comment vos collègues au sein de l’Institut MIAI Grenoble Alpes vous aident-ils à avancer ?

Grâce aux interactions que j’évoquais précédemment, nous faisons naître des collaborations qui sont bénéfiques pour tout le monde.

Au cours d’une de nos réunions mensuelles, nous avons ainsi identifié des intérêts communs avec une autre chaire, dirigée par  Pascal Perrier et intitulée « Bayesian Cognition and Machine Learning for Speech communication« , qui traite du langage parlé. Avec le Pr Laurent Girin, qui participe à cette chaire, nous avons commencé par comparer l’expertise de leur équipe et la nôtre en matière de méthodes probabilistes pour le traitement de la parole. Nous nous sommes aperçus qu’il existait beaucoup de méthodes de ce type capables de traiter de séquences, ce qui est utile dans le domaine de la parole où l’ordre des mots doit être pris en compte, mais qu’il n’y avait pas d’uniformité dans la façon de les présenter ni de les utiliser.

Le MIAI nous a permis d’obtenir le financement d’une thèse commune qui a abouti à la création d’un cadre pour ces méthodes et outils permettant de résoudre les problèmes d’optimisation. Nous avons pu en tirer un article assez fondamental : « Dynamical Variational Autoencoders: A Comprehensive Review« .

La collaboration s’est poursuivie et un deuxième article vient d’être publié. Celui-ci montre que les méthodes probabilistes que nous avons étudiées peuvent être utilisées pour le rehaussement de la parole… ce qui va servir à la fois à nos recherches et à celles de l’équipe de Pascal Perrier. Maintenant que nous avons trouvé ce socle commun, nous continuerons bien sûr à développer des sujets de recherche ensemble, pour savoir par exemple si ces mêmes méthodes permettent de faire de la fusion audio-visuelle, ou encore si elles peuvent être mélangées à d’autres types de modèles probabilistes pour réaliser de nouvelles tâches.

Quel style musical associez-vous à la recherche en IA, et pourquoi ?

Je vois ce domaine de recherche comme un big band de jazz. Tout d’abord parce qu’il faut être assez nombreux pour réussir à relever les défis qui y sont liés. Ensuite, parce qu’un directeur d’orchestre doit organiser un peu tout cela, mais en souplesse : pour que la recherche vive, il faut que chaque membre du groupe puisse apporter son âme et ses idées. Dans les big bands, il y a des moments où certains musiciens vont improviser ; dans la recherche, un doctorant ou un étudiant peut faire naître des improvisations de la même manière. Et chacun doit laisser de la place à ceux qui souhaitent proposer des choses qui n’étaient pas écrites dans la partition.

Inria Starting Faculty Position : à l’écoute des jeunes chercheurs et des partenaires

Un début de carrière ne se fait pas forcément « piano » ! Avec les ISFP (Inria Starting Faculty Position), les jeunes chercheurs s’installent chez Inria. Et ils y apportent leur expertise, participant à la création d’équipes-projets, à l’image de Renaud Vilmart, spécialiste en informatique quantique.

Jeune chercheur chez Inria, vous avez eu jusque-là un parcours assez classique…

C’est vrai, puisque j’ai intégré une classe préparatoire, puis l’école d’ingénieurs des Mines de Nancy, dans laquelle j’ai choisi un parcours recherche. En troisième année, j’ai opté pour un double diplôme en suivant un master Informatique avec une orientation « Méthodes formelles ». Et j’ai fait mon stage de fin d’études au Loria, le laboratoire lorrain de recherche en informatique et ses applications, dans l’équipe-projet Inria qui s’appelait alors Carte, spécialisée dans l’informatique quantique.

Pourquoi avoir choisi cette spécialité ?

Lors de ma deuxième année d’études aux Mines, nous avons eu deux cours transverses sur l’informatique quantique et j’ai eu envie d’étudier le sujet ! Il est à la croisée des mathématiques, de l’informatique, de la physique et c’est ce qui m’intéressait. J’ai d’ailleurs depuis poursuivi dans ce domaine : après mon stage, j’ai continué en thèse, toujours dans l’équipe-projet Carte et à l’issue de celle-ci, j’ai décroché un postdoc au LRI, le laboratoire de recherche en informatique de l’Université Paris-Saclay et du CNRS, dont Inria était l’un des partenaires privilégiés. L’équipe que j’ai intégrée, VALS (Vérification d’Algorithmes, Langages et Systèmes), dont faisait partie mon superviseur de thèse, Benoît Valiron, était d’ailleurs fortement liée à Inria.

Comment s’est passé votre recrutement ?

Via les liens de mes équipes de recherche avec Inria, j’avais déjà un pied dans l’institut depuis mon stage de fin d’études. En 2020, j’ai donc postulé chez Inria lors du concours commun aux postes de chargé de recherche classe normale (CRCN) et aux Inria Starting Faculty Position (ISFP), qui venaient d’être créés. À l’issue de ce concours, j’ai eu le choix entre les deux postes… j’ai longuement hésité.

Qu’est-ce qui a fait pencher la balance en faveur de l’ISFP ?

Les responsabilités et les missions sont sensiblement les mêmes. Mais l’ISFP engage à enseigner entre 32h et 64h par an et cet aspect modulable du volume de cours me plaisait beaucoup.

Par ailleurs, le statut n’est pas le même : un CRCN est fonctionnaire et dispose donc de la sécurité de l’emploi et d’une progression salariale automatique en fonction de paliers d’ancienneté ; l’ISFP est salarié de la fonction publique, donc avec un poste moins garanti et des évolutions de salaire à négocier lors d’évaluations annuelles. En contrepartie, le salaire à l’embauche est plus intéressant et pour un jeune chercheur, c’est attractif ! Le dispositif étant récent, il reste cependant des points à préciser sur la suite de carrière, vers des postes de directeur de recherche ou de professeur par exemple.

Il y a eu une véritable volonté de créer une équipe-projet Inria, en partenariat avec l’université, autour de l’informatique quantique à Saclay. Le recrutement d’un ISFP a permis de donner de l’élan à cette dynamique.

La composante « enseignement » de votre poste renforce-t-elle les liens avec vos partenaires universitaires ?

Les membres d’Inria sont très proches du corps enseignant car beaucoup en font partie. C’est d’ailleurs souvent par le bouche-à-oreille entre chercheurs que nous sommes sollicités pour mettre en place un cours. J’ai ainsi donné dès ma première année d’ISFP une cinquantaine d’heures d’enseignement en deuxième année de licence à l’Université Paris-Saclay. Et l’année dernière, j’ai ajouté une dizaine d’heures pour un cours en master, que j’ai cocréé avec un collègue d’Inria. Les liens sont donc effectivement forts entre université et équipes-projets !

Et du côté de la recherche, qu’apporte votre ISFP ?

Il y a deux ans, deux chercheurs uniquement travaillaient dans le domaine de l’informatique quantique sur notre campus : Benoît Valiron, du LRI, et Pablo Arrighi, professeur à l’Université. Or le quantique est une thématique de recherche prioritaire du site, commune au Centre Inria de Saclay et à l’Université. Il y a donc eu une véritable volonté de créer une équipe-projet Inria, en partenariat avec l’Université Paris-Saclay, autour de cette thématique et de ces scientifiques. Le recrutement d’un ISFP a permis de donner de l’élan à cette dynamique.

C’est ainsi qu’est née l’équipe-projet QuaCS (Quantum Computation Structures), rattachée au LMF, le Laboratoire Méthodes formelles et à la quintuple tutelle : Université Paris-Saclay, CNRS, ENS Paris-Saclay, Inria et CentraleSupélec. L’agrandissement de l’équipe s’est ensuite poursuivi avec le recrutement de deux autres chercheurs Inria, et bientôt d’un troisième, auquel s’ajoutera une chaire de professeur junior.

Sur quels sujets votre équipe travaille-t-elle aujourd’hui ?

Nous nous intéressons de façon assez fondamentale au fonctionnement de l’ordinateur quantique. Nous développons une approche transverse, qui tente de relier les ressources physiques de l’ordinateur quantique – qu’il s’agisse de photons ou de spins d’électrons par exemple – aux langages de programmation.

Mon sujet de recherche se concentre d’ailleurs sur des langages intermédiaires, qui permettent en quelque sorte de passer de la physique aux mathématiques et à l’informatique. C’est un domaine d’étude qui emprunte beaucoup à l’informatique classique : nous pouvons par exemple adapter les méthodes pour faire de la vérification et s’assurer ainsi que le programme quantique réalise ce qu’il est supposé faire.

Quel style musical associez-vous à votre poste d’ISFP et à vos recherches, et pourquoi ?

Du rock progressif ou du jazz fusion. C’est une musique qui est perpétuellement en mouvement, qui ne tourne pas toujours autour du même refrain. Au départ, on peut ne pas savoir vers où l’on va, mais ensuite, avec un peu de recul, on peut se rendre compte du chemin parcouru, potentiellement de façon très élégante ! Le côté jazz est aussi lié à l’improvisation, qui accepte le risque de l’erreur… pour mieux recommencer !

L’action exploratoire : une œuvre originale et collective

Plusieurs voix s’unissent autour d’une même envie et il en émerge une mélodie originale. C’est le principe de l’action exploratoire Apollon portée par Antoine Lejay, qui rassemble des chercheurs Inria et des historiens de l’université de Haute-Alsace. Leur ambition : allier numérique et sciences humaines et sociales pour décrypter la Politique d’Aristote.

Vous êtes chercheur chez Inria depuis 2001 ; quels sont vos sujets d’étude ?

Je suis directeur de recherche et membre de l’équipe-projet Pasta (Processus Aléatoires Spatio-Temporels et leurs Applications), du Centre Inria de l’Université de Lorraine et de l’IECL. Nous travaillons sur des modèles probabilistes pour toutes sortes de sujets, de la géophysique à la finance, en passant par la santé ou l’astrophysique. Nous avons un positionnement original par rapport à la plupart des autres équipes de recherche : d’une part, nous n’appliquons pas nos recherches à un seul domaine et d’autre part, nous couvrons l’ensemble de la chaîne de création de ces modèles – c’est-à-dire la modélisation, leur simulation et leur inférence – qui consiste à utiliser des méthodes statistiques pour retrouver leurs paramètres.

Au sein de l’équipe, j’ai personnellement deux thématiques principales. La première concerne la « théorie des trajectoires rugueuses », sur laquelle j’ai d’ailleurs fait un postdoctorat. La seconde, plus applicative, porte sur la simulation d’équations de diffusion avec des discontinuités dans les coefficients. Ce type de simulation est nécessaire lorsque nous voulons étudier par exemple la diffusion d’un polluant dans un sous-sol, composé de roches poreuses mais différentes et dont les caractéristiques vont donc varier.

Enfin, une dernière partie de mon temps est consacrée à des recherches diverses qui se nourrissent de contrats industriels ou de travaux de collègues. S’intéresser à des domaines variés, avec des partenaires différents, permet toujours d’apprendre de nouvelles techniques, de découvrir divers points de vue, d’imaginer des façons de les appliquer à d’autres recherches. Cet échange et cet équilibre rendent la recherche plus passionnante encore !

Ce sont ces aspects qui vous ont attiré chez Inria ?

Tout à fait ! L’interdisciplinarité, l’ouverture sur la société, le transfert vers d’autres disciplines, les problèmes applicatifs me plaisaient. Et me plaisent toujours ! L’équipe-projet Pasta est d’ailleurs une équipe-projet commune entre Inria, le CNRS et l’Université de Lorraine. Et nous venons de mettre sur pied une action exploratoire qui n’existe que grâce à l’interdisciplinarité et à la collaboration avec l’université de Haute-Alsace.

Comment est née cette action exploratoire ?

Cette action, baptisée Apollon (Art de la POLitique : Langage aristotélicien et Optimisation Numérique), a été initiée par un de mes anciens doctorants, Lionel Lenotre. Il travaille dorénavant à l’université de Haute-Alsace et avec une collègue historienne, Maria Teresa Schettino, il cherchait une solution pour créer un lexique des idées présentes dans la Politique d’Aristote. Cet ouvrage est l’un des principaux textes de philosophie politique et il a eu une grande influence au cours des siècles. Le problème, c’est que répertorier toutes les idées qu’il contient prendrait environ une cinquantaine d’années et nécessiterait de rassembler des historiens, des spécialistes de l’analyse de texte et des experts en grec ancien. Lionel cherchait donc un moyen d’automatiser ce travail fastidieux et s’est tourné vers moi.

Qu’est-ce qui vous a plu dans cette démarche ?

D’abord le côté original et amusant. Le sujet permet de se confronter à d’autres domaines et pose des questions passionnantes : qu’est-ce qu’un langage, pourquoi telle phrase exprime telle idée… on s’approche de la philosophie. L’aspect interdisciplinaire m’a évidemment séduit, de même que l’orientation vers les sciences humaines et sociales. Elles sont selon moi un peu le parent pauvre dans nos domaines de recherche et j’apprécie de pouvoir leur ouvrir de nouvelles portes.

S’intéresser à des domaines variés, avec des partenaires différents, permet toujours d’apprendre de nouvelles techniques, de découvrir divers points de vue, d’imaginer des façons de les appliquer à d’autres recherches.

Justement, vous avez rendu ce projet possible en proposant une action exploratoire chez Inria ; en quoi ce dispositif était-il pertinent ?

Notre objectif est d’utiliser des méthodes d’apprentissage statistique, donc de machine learning, pour apprendre à un algorithme à identifier certaines informations dans les textes d’Aristote et à les interpréter. Cette interprétation sera soumise à un expert humain, qui fera ensuite une rétropropagation à l’algorithme pour lui permettre de s’améliorer. Jusqu’à réussir à extraire les idées de l’ouvrage pour en faire un lexique. Or il y a là beaucoup de défis, comme le fait de se passer des boîtes noires, ces processus opaques qui permettent à l’algorithme d’engendrer des résultats. Puisque nous voulons un contrôle humain sur la démarche, il faudra que tout soit transparent.

Le fait que nous n’ayons pas non plus des millions de données à fournir à l’algorithme pour l’entraîner, mais un seul ouvrage, est également un challenge. Or les actions exploratoires Inria visent justement à soutenir la prise de risque scientifique. Grâce au dispositif, nous avons obtenu le financement d’un postdoctorant en sciences du numérique pour deux ans. Et via le CNRS, nous pourrons également recruter un postdoctorant en histoire.

Deux ans suffiront-ils pour créer le lexique ?

Sans doute pas. Mais nous aurons au moins une idée de ce qui est réalisable, nous disposerons de grandes lignes, que nous pourrons affiner ensuite, éventuellement avec d’autres acteurs. Je suis convaincu que ce genre de projet n’est jamais entrepris « pour rien » : il en sortira forcément de nouvelles connaissances. Et il va créer un lien de plus entre numérique et sciences humaines et sociales, entre Inria et ses partenaires… C’est un enrichissement pour tous.

Quel style musical associez-vous à l’action exploratoire, et pourquoi ?

Les chants polyphoniques des Pygmées ! Dans ces chants, il n’y a pas de meneur : chacun apporte sa voix, répond à l’autre et il se créé ainsi une œuvre collective. Dans la recherche, et dans l’action exploratoire notamment, nous rebondissons de la même façon sur les travaux des uns et des autres pour produire de nouveaux résultats !

La création de startup : une démarche un brin rock’n’roll !

Ziad Zaïri et son équipe travaillent de concert au développement d’un logiciel de création de colonne vertébrale numérique. Quoi de mieux qu’un studio pour y parvenir ? Inria Startup Studio et le service valorisation de l’Université de Lille les accompagnent donc dans la création de leur startup… Musique !

Le projet que vous développez s’appelle SiliSpine ; en quoi consiste-t-il ?

SiliSpine est un logiciel qui va permettre de prédire l’évolution de la colonne vertébrale d’un patient en créant un jumeau numérique de celle-ci. Nous nous basons pour cela sur un modèle microstructural, qui décrit une portion de colonne – un disque et deux lombaires pour le moment – et qui prend en compte toutes les dégénérescences possibles de la colonne, qu’elles soient d’origine mécanique ou biochimique. Ce modèle est couplé avec les données géométriques issues de l’IRM du patient et les données biométriques de ce dernier, comme son âge, sa taille, son mode de vie, etc.

La combinaison de toutes ces informations nous permet d’établir une prédiction personnalisée de l’évolution de la colonne vertébrale. Notre logiciel s’adressera dans un premier temps aux radiologues pour leur fournir des diagnostics prédictifs sur l’évolution de la colonne de leurs patients, ainsi qu’aux chirurgiens pour simuler des traitements sur le jumeau numérique et anticiper leurs effets dans le temps. En effet, aujourd’hui 40% des interventions débouchent sur une récidive ; prédire l’évolution suite au traitement permettrait de réduire ce pourcentage. Nous proposerons aussi SiliSpine aux industriels, comme les fabricants de dispositifs implantables ou d’exosquelettes, afin de leur permettre de tester leurs solutions in silico et de les aider à concevoir des produits innovants.

Comment avez-vous réuni les expertises en mécanique, médecine et informatique que nécessite ce projet ?

C’est une histoire familiale en fait ! Le modèle microstructural est développé depuis une dizaine d’années par mon frère, Fahmi Zaïri, professeur des universités en mécanique à Polytech Lille et au LGCgE (Laboratoire de génie civil et géo-environnement), avec l’aide de mon autre frère Fahed Zaïri, neurochirurgien, spécialiste de la chirurgie du rachis, à l’Hôpital privé Le Bois à Lille. Quant à moi, j’ai un master « Image, vision et interaction » de l’Université de Lille et j’ai travaillé comme consultant en informatique pour de grands groupes comme Engie, BNP, Areva, Axa… jusqu’à ce que je quitte ce dernier poste il y a un an pour porter à plein temps le projet de création de la startup SiliSpine.

Nous avons en plus agrandi l’équipe avec deux anciens doctorants en biomécanique du laboratoire de Fahmi : Abderrahman Tamoud, qui nous a déjà rejoints, et Amil Derrouiche, actuellement en poste au laboratoire Roche et qui intègrera notre startup à sa création.

Quelles sont les premières démarches que vous avez effectuées ?

Pour être honnête, nous ne savions pas vraiment où commencer ! Par les liens de Fahmi avec l’Université de Lille, nous nous sommes d’abord tournés, en février 2022, vers la SATT Nord auprès de laquelle nous avons déposé un dossier de demande de soutien. Mais leur process d’accompagnement n’était pas idéal puisqu’il repose sur une logique de retour sur investissement qui n’était pas prévisible à ce stade d’avancement de notre projet.

Nous avons par ailleurs rencontré un CPPI (chargé de partenariats et de projets d’innovation) du Centre Inria de l’Université de Lille en mai, qui nous a présenté le Startup Studio. Cet accompagnement était en effet parfait pour nous puisqu’adapté à notre besoin de temps pour développer le projet et explorer le marché. Il est ouvert à tous les porteurs de projet deeptech, à condition qu’un membre de l’équipe soit diplômé a minima d’un master 2 en informatique ou d’une école d’ingénieur et maîtrise plusieurs langages informatiques, ce qui était mon cas. Après de premières discussions et un passage devant le jury de sélection du Startup Studio, nous avons pu intégrer ce dernier en septembre 2022 pour une durée d’un an, le temps de mûrir notre projet !

Avec l’aide apportée par le Startup Studio, nous avançons évidemment beaucoup plus vite que si nous étions seuls, nous gagnons en efficacité et en tranquillité d’esprit !

Comment se concrétise l’aide apportée par le Startup Studio ?

Tout d’abord, le fait d’être hébergé au sein de l’incubateur, dans un open space, crée une vraie émulation avec les autres créateurs de startups. Ensuite, mon salaire et celui d’Abderrahman Tamoud sont pris en charge pendant un an par Inria, qui nous a accordé en plus une enveloppe de 10 000 € et met à notre disposition tout le matériel informatique dont nous avons besoin.

Nous pourrons aussi recruter deux stagiaires, l’un avec un financement d’Inria, l’autre via le laboratoire de Fahmi. Enfin, nous avons des ateliers thématiques et une formation à l’entrepreneuriat avec l’EM Lyon pour nous aider à monter notre startup, qu’il s’agisse d’apprendre à pitcher le projet auprès d’investisseurs potentiels, ou de savoir comment monter un business plan, aller chercher des subventions… Nous bénéficions également d’un accompagnement personnalisé bimensuel avec les responsables du Startup Studio et le chargé des partenariats et des projets d’innovation du Centre Inria, qui suivent l’avancée du projet, apportent les réponses à nos questions, nous aident à élargir notre réseau, etc. En définitive, nous avançons évidemment beaucoup plus vite que si nous étions seuls, nous gagnons en efficacité et en tranquillité d’esprit !

Quelles sont les prochaines étapes de votre projet ?

Il nous faut continuer à développer notre modèle microstructural sur l’intégralité de la zone lombaire et travailler sur la reconstruction 3D du modèle de prédiction. Faire partie de l’environnement Inria pour ces développements prend tout son sens.

Et même si pour l’instant nous avons les compétences en interne pour avancer, nous avons déjà repéré les équipes-projets vers lesquelles nous pourrions nous tourner pour une éventuelle collaboration. Notre objectif est de disposer de notre proof of concept, et donc de créer notre startup, d’ici septembre 2023.

Quel style musical associez-vous à votre startup, et pourquoi ?

Le rock’n’roll ! D’une part parce que développer un logiciel innovant et créer une startup impose un rythme assez soutenu. Et d’autre part parce qu’avec ce projet, nous souhaitons sortir des sentiers battus et laisser libre cours à notre imagination !

Ingénieure recherche et développement : un hymne à la collaboration

Pour que les chercheurs puissent jouer leurs partitions, il leur faut parfois un soutien technique ! C’est ce qu’apporte Jenny Kartsaki, ingénieure recherche et développement. Avec une particularité : celle d’œuvrer au sein d’équipes-projets Inria… mais en étant rattachée à NeuroMod, un institut d’Université Côte d’Azur.

Quel a été le parcours qui vous a menée jusqu’à Inria ?

J’ai suivi quatre ans d’études universitaires en informatique à l’université de Crète, en Grèce, puis j’ai travaillé pendant trois ans en tant qu’ingénieure logiciel au Forth Institute (Foundation for Research and Technology – Hellas), toujours en Grèce. Finalement, j’ai décidé de reprendre mes études, j’ai repéré le master de biologie computationnelle et biomédecine d’Université Côte d’Azur (UCA) et c’est ainsi que je suis arrivée en France. Et rapidement ensuite chez Inria où j’ai effectué mon stage de master, au sein de l’équipe-projet Biovision du Centre Inria d’Université Côte d’Azur. Le sujet : l’impact du blocage de certaines cellules de la rétine sur la vision.

L’histoire aurait pu s’arrêter là…

Tout à fait, sauf que j’avais durant mon master repéré un doctorat qui me plaisait bien, de nouveau avec l’équipe-projet Inria Biovision, l’université de Newcastle et Université Côte d’Azur. J’ai donc continué mes études et ma thèse a abouti au développement d’un modèle computationnel permettant d’évaluer la contribution à la vision de cellules rétiniennes spécifiques.

J’ai toujours été attirée par la combinaison de l’informatique et de la biologie et ces recherches mêlaient justement les sciences computationnelles, la modélisation mathématique, les neurosciences et l’expérimentation. C’était tout à fait ce que je recherchais !

Et vous avez eu la chance de pouvoir poursuivre votre carrière interdisciplinaire.…

Grâce à la création de NeuroMod, institut transdisciplinaire axé sur la modélisation en neurosciences et cognition, qui a vu le jour officiellement en 2020. J’y ai été impliquée dès le début, via ma thèse.

En parallèle, mon doctorat m’avait aussi amenée à collaborer avec le SED, le service expérimentation et développement du Centre Inria d’Université Côte d’Azur. Celui-ci est composé d’ingénieurs de recherche assurant le support au développement, aux expérimentations et à la gestion des plates-formes expérimentales.

Et en 2021, les planètes se sont alignées : le SED et NeuroMod, qui avaient déjà travaillé ensemble, ont souhaité renforcer leur collaboration en créant un poste d’ingénieur hébergé au sein du SED mais dédié aux projets NeuroMod et rattaché administrativement à l’université. Avec mon expérience et mes compétences, je correspondais tout à fait au profil recherché et je suis donc devenue cette ingénieure recherche et développement en septembre 2021.

Le travail en équipe et l’interdisciplinarité me plaisent beaucoup. Nous collaborons tous et c’est le meilleur moyen d’améliorer nos compétences. Au croisement d’UCA et d’Inria, je profite des expertises des uns et des autres, je leur apporte mon aide et c’est très enrichissant.

Concrètement, en quoi consiste votre travail ?

Pendant les premières semaines, j’ai collaboré avec les ingénieurs du SED sur des projets Inria, afin de me familiariser avec l’équipe, les plates-formes et cadres de travail internes, les chercheurs. Il s’agissait aussi de me former à tous les outils de base de l’ingénierie logicielle. Puis je me suis concentrée exclusivement sur les projets NeuroMod.

Cette structure rassemble 250 scientifiques venus de 16 laboratoires et entités de recherche différents, dont des équipes-projets Inria.

Il y a donc de très nombreux projets en cours et je travaille sur plusieurs d’entre eux, comme la simulation des trains de potentiels d’action dans un réseau comprenant plus d’un milliard de neurones, ou encore, à partir des données EEG, la localisation des sources cérébrales actives liées à l’empathie pour une douleur physique.

Je suis à l’interface entre les idées des chercheurs de différentes disciplines – statistiques, informatique, neurosciences computationnelles – et leurs réalisations techniques, et j’essaie de coordonner leurs besoins en développement d’outils. J’interagis aussi avec des étudiants en thèse ou en master de NeuroMod afin de les conseiller ou les accompagner pour l’installation de divers outils.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans ce poste ?

Le travail en équipe et l’interdisciplinarité ! Nous collaborons tous et c’est le meilleur moyen d’améliorer nos compétences. Au croisement d’UCA et d’Inria, je profite des expertises des uns et des autres, je leur apporte mon aide et c’est très enrichissant.

Les « sprints » sont l’une des actions qui illustrent bien cette émulation. Ils font partie d’une méthodologie pour les développements logiciels, dite agile, qu’utilisent les ingénieurs du SED : pendant deux à trois semaines, régulièrement, nous travaillons tous ensemble au quotidien autour du développement d’un même software et les chercheurs participent au processus. Généralement, à la fin du sprint, nous aboutissons déjà à une démo de l’outil. Cela permet de booster le développement et j’ai mis en place cette même méthodologie pour faciliter la gestion des projets de NeuroMod.

Ce poste à la croisée des disciplines et des équipes de recherche est-il aussi bénéfique pour Inria et Neu-roMod ?

Bien sûr ! De nombreuses équipes de recherche Inria travaillent sur les neurosciences et collaborent à NeuroMod, donc l’université, Inria et NeuroMod sont très liés et il existe une forte complémentarité entre les différentes entités. Avoir en plus un ingénieur spécialisé, qui connaît les équipes et les besoins de chaque institution, est un avantage pour chacun, un gain de temps, d’efficacité et d’unité. Sans compter qu’au SED, tous les ingénieurs travaillent dans un open space, ce qui nous permet d’échanger très facilement et renforce encore l’efficacité du travail en équipe.

Si votre poste était un style musical, lequel serait-ce et pourquoi ?

J’ai un peu l’impression de jouer dans un groupe de jazz ! Nous avons des orientations communes, mais l’innovation est encouragée et chacun de nous a le droit d’expérimenter, d’apporter ses propres idées, tout en restant en lien les uns avec les autres et en communiquant. En plus, mon poste exige d’être flexible et créatif : le jazz est donc une bonne métaphore !

La médiation scientifique : une caisse de résonance pour la recherche

Au Centre Inria d’Université Côte d’Azur, les sons de la recherche résonnent au-delà des murs, grâce à la médiation scientifique. Un formidable ampli pour les sciences du numérique, dans le territoire et ailleurs, que Magali Martin-Mazauric contribue à faire fonctionner.

En quoi consiste votre mission au sein d’Inria ?

Depuis 2016, je suis chargée des projets collaboratifs et des relations internationales du Centre Inria d’Université Côte d’Azur, ce qui implique notamment une participation très active aux actions de médiation scientifique. J’ai commencé à me passionner pour cette activité dès 2006 : j’occupais le poste d’assistante du service relations extérieures et valorisation et le Centre développait la médiation scientifique, sous l’égide de Thierry Vieville, alors directeur de recherche, et Gérard Giraudon, directeur du centre.

J’y ai pris part en débutant par une action de médiation… sur moi-même ! De par mon poste, je devais en effet aider les chercheurs dans leurs réponses aux appels à projets internationaux et je voyais passer leurs thèmes de recherche sans réellement les comprendre. J’ai donc demandé à Thierry Vieville de m’expliquer les termes qui m’étaient inconnus. Ce travail de vulgarisation des thématiques de recherche Inria a ensuite été partagé par d’autres collègues administratifs et s’est même répandu dans d’autres centres. De mon côté, j’ai continué à développer ma participation à la médiation scientifique, cette fois aussi vers l’extérieur.

Quelle a été votre première implication dans un projet de médiation scientifique ?

J’ai rejoint dès sa création le collectif Mastic, chargé de l’animation scientifique du Centre, composé à la fois de chercheurs et de personnels administratifs. Nous menions des actions autour de la Semaine des mathématiques, de l’accueil de stagiaires de 3e, de la Fête de la Science

Rapidement, avec nos partenaires de terrain, nous avons créé un sous-groupe de Mastic, nommé Galéjade, grâce notamment à l’implication de Marie-Pelleau, enseignante-chercheuse chez Université Côte d’Azur (UCA), et à Frédéric Havet, chercheur au CNRS au laboratoire I3S (Laboratoire d’Informatique, Signaux et Systèmes de Sophia Antipolis, UMR UCA-CNRS). La réflexion à l’origine de cette collaboration était très pragmatique : pourquoi créer trois événements de communication scientifique sur le territoire alors que nous pouvions unir nos forces ? En outre, faire de la médiation scientifique ensemble était l’occasion de voir comment travaillaient les autres, de partager nos savoir-faire et de renforcer notre réseau.

Et ce partenariat territorial a-t-il perduré ?

Il s’est même largement étendu ! En 2018, le Président-directeur général d’Inria, Bruno Sportisse, nous a encouragés à proposer des projets. Avec les collègues de Galéjade, en particulier Dorian Mazauric, Nicolas Nisse (chercheurs chez Inria) et Frédéric Havet (précédemment cité), nous avons couché sur le papier notre rêve et celui de tant d’autres avant nous : créer une sorte de « cité des sciences du numérique » sur le territoire. C’est ainsi qu’est né le projet Terra Numerica.

Où en est ce projet aujourd’hui ?

Nous avons monté un collectif qui rassemble de très nombreux acteurs du territoire  : les membres fondateurs – Inria, le CNRS, UCA – mais également des associations locales, des médiathèques, la communauté d’agglomération de Sophia Antipolis, la fondation Blaise Pascal, la ville de Valbonne qui a mis à notre disposition un espace de 500 m², inauguré en juin 2022.

Nous avons tous le même objectif : combler le fossé qu’il peut y avoir entre la recherche en sciences du numérique et le grand public. Il y a donc des ateliers et des expositions au sein de l’Espace Terra Numerica, des formations envers les scolaires et les enseignants ainsi que des actions sur le territoire portées par des chercheurs Inria et des partenaires. Nous rêvons que dans les prochaines années, ce soit tous les jours la fête de la science sur notre territoire !

Faire de la médiation scientifique ensemble était aussi l’occasion de voir comment travaillaient les autres, de partager nos savoir-faire et de renforcer notre réseau.

La médiation scientifique est donc au cœur de la stratégie du Centre Inria d’Université Côte d’Azur…

En effet, elle en fait largement partie ! Toutes les décisions autour de Terra Numerica se prennent en concertation avec UCA et le CNRS. Il y a un élan commun et une ambition partagée. Aucun de nous n’aurait pu porter seul un projet d’une telle ampleur. Tout le monde y gagne, en visibilité notamment, mais également dans ses recherches. Au sein du bâtiment de Terra Numerica, le troisième étage pourra accueillir des chercheurs de tous horizons autour de projets collaboratifs.

Notre espace sert aussi d’observatoire pour de nouvelles problématiques de recherche. C’est une boucle : la science nourrit la médiation qui nourrit à son tour la recherche. D’ailleurs, nous ne comptons pas nous arrêter en si bon chemin ; la pluridisciplinarité encouragée dans les projets d’Inria se retrouvera dans Terra Numerica. Nous croiserons les regards des sciences du numérique avec ceux de l’art, de l’environnement, des sciences humaines et sociales, et même des entreprises, pour étendre encore notre réseau et notre public.

À quel style musical vous fait penser la médiation scientifique ?

À de la pop anglaise ! Pop pour popularisation bien sûr, puisque nous diffusons les sciences vers le plus grand nombre. Et puis c’est une activité rythmée, dynamique, avec un renouveau constant. Enfin, le son « pop » m’évoque aussi les cercles que l’on retrouve sur les visuels de Terra Numerica. Quand je vous disais que la boucle était bouclée…

Assistante d’équipe de recherche : un métier qui ne manque pas de rythme !

Il y a comme une musique de fond qui se fait entendre derrière les équipes d’Inria : c’est celle jouée par les assistantes et assistants d’équipes de recherche, telle Annie Simon au Centre Inria de l’Université Grenoble Alpes. Ce métier, propre à l’institut, assure l’interface entre les scientifiques et l’administration d’Inria et de ses partenaires… pour que les chercheurs ne perdent pas le tempo !

En quoi consiste votre métier d’assistante d’équipe de recherche (AER) ?

Les AER sont les couteaux suisses d’Inria ! Nous sommes chargés de faire l’interface entre les équipes de recherche et l’administration d’Inria et de nos partenaires institutionnels. En fait, nous sommes les référents des équipes pour toutes leurs questions administratives. Élaboration et suivi du budget, organisation de missions, recrutement de personnels, achat de matériel, aide à l’organisation de manifestations scientifiques… nous devons avoir réponse à toutes leurs questions ou savoir quels interlocuteurs pourront les aider, chez Inria ou ailleurs.

Nous apportons même une aide importante aux collègues étrangers de nos équipes sur les questions pratiques et administratives en dehors du travail (logement, aides financières, titre de séjour…). Nous sommes là finalement pour accompagner les scientifiques au quotidien. Et nous sommes en mesure d’apporter aussi une aide aux services support d’Inria puisque nous connaissons parfaitement nos équipes.

De plus, votre poste présente une particularité parmi les AER du Centre Inria de l’Université Grenoble Alpes…

Oui, car je suis hébergée sur le campus de cette université, là où se trouvent les trois équipes-projets auxquelles j’appartiens : Datamove, Polaris et Airsea. J’ai toujours travaillé en proximité avec mes équipes !

Mon employeur reste bien entendu Inria, j’ai un fort sentiment d’appartenance à l’institut et il y a d’ailleurs une très bonne collaboration et un grand soutien entre les AER à Grenoble. Mais de par cette particularité, je me sens aussi partie prenante de l’écosystème universitaire.

Les AER ont donc également un rôle à jouer auprès des partenaires d’Inria ?

Bien sûr ! Inria collabore depuis longtemps avec les universités et nos équipes sont composées de membres rémunérés par Inria, mais aussi de membres rattachés à l’université ou au CNRS. Et les stagiaires que nous accueillons sont notre vivier de doctorants ou d’ingénieurs. Pour accompagner tous ces personnels, nous devons comprendre et interagir avec les services de nos partenaires.

La politique de site nous implique aussi directement : les laboratoires de l’université, souvent des unités mixtes de recherche du CNRS, sont au cœur de celle-ci. Or cette imbrication entre université, laboratoires, équipes-projets et chercheurs Inria est complexe. Grâce à notre vision globale, tant sur la vie de nos équipes que sur le paysage universitaire, nous facilitons les échanges dans un sens comme dans l’autre et nous contribuons au renforcement des liens entre l’institut et ses partenaires.

Qu’est-ce qui vous a attirée dans ce métier ?

Je suis arrivée chez Inria en tant qu’AER en 2007, après avoir travaillé 20 ans à la faculté de droit de l’université Lyon 3. J’avais été séduite par le dynamisme qui se dégageait de l’institut et par l’idée d’exercer mon métier dans le domaine des sciences numériques, encore jeune à l’époque. C’était l’occasion pour moi de découvrir un monde en pleine mutation… et je n’ai pas été déçue !

Grâce à notre vision globale, tant sur la vie de nos équipes que sur le paysage universitaire, nous facilitons les échanges dans un sens comme dans l’autre et nous contribuons au renforcement des liens entre l’institut et ses partenaires.

Et qu’est-ce qui vous plaît dans le poste d’AER au quotidien ?

De nombreuses choses ! D’abord, la variété des tâches bien sûr. Mais j’apprécie aussi la chance d’être au cœur des équipes et de pouvoir côtoyer des personnes venant du monde entier. Nos discussions avec elles sont intéressantes et ouvrent des fenêtres sur d’autres cultures. Et puis, même si c’est très technique, très pointu, j’ai plaisir à écouter leurs présentations scientifiques tant ces personnes sont passionnées par leur discipline et à les voir travailler les unes avec les autres.

Enfin, surtout, j’ai le sentiment d’être utile : je contribue chaque jour, modestement, à la formation des futurs citoyens de France et du monde, je les aide à poursuivre leur carrière de chercheur ou d’enseignant-chercheur. D’ailleurs, nous sommes considérés comme un soutien aux équipes et non pas un service support et pour moi, cette nuance a son importance. Le monde de la recherche en France est une « jungle » et l’AER sert de GPS : à une nouvelle personne qui arrive dans cet amas de strates et de complexité, nous fournissons l’itinéraire pour atteindre son but. Le problème cependant est que tout se complexifie tellement que jouer ce rôle devient de plus en plus délicat. Nous travaillons en interaction avec tous les services de l’institut et des laboratoires et nous sommes concernés par toutes les évolutions de process et d’outils ! Nous faisons preuve d’une grande adaptabilité, mais notre métier perd parfois de son sens face à tous les changements subis.

Le poste d’AER existe-t-il dans d’autres organismes de recherche ?

Non, c’est une spécificité d’Inria. Dans d’autres organismes, le poste qui s’y apparente est celui de gestionnaire administratif et financier. Son travail est tout aussi important, mais les AER sont vraiment intégrés à l’équipe, participent aux réunions, aux séminaires, apportent un soutien quotidien et des conseils… Nous sommes de véritables collaborateurs.  Et c’est ce que les équipes apprécient et ne souhaitent pas voir disparaître. Nous sommes là pour mettre de l’huile dans les rouages, au sein des équipes, d’Inria et de l’écosystème.

Si l’AER était un instrument de musique, lequel serait-il ?

Nous sommes les percussions d’une batucada, le groupe de musique brésilien ! Ce sont les instruments sur lesquels les musiciens viennent s’appuyer quand ils sont perdus et qu’il faut redonner de la cohérence… C’est un peu de cette façon-là aussi que les chercheurs comptent sur nous !

L’interdisciplinarité, une musique expérimentale pleine de possibilités

De la biomécanique au sein d’une équipe spécialisée en sciences numériques ? Chez Inria, cela n’a rien d’une fausse note. Anne-Hélène Olivier, enseignante-chercheuse en science du mouvement à l’université Rennes 2 et membre de l’équipe-projet Virtus du Centre Inria de l’Université de Rennes prouve que l’interdisciplinarité conduit à des études… qui sonnent très bien !

Vous êtes docteure en Sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps) et membre de l’équipe-projet Virtus du Centre Inria de l’Université de Rennes. D’où vient cette étonnante double casquette ?

J’ai au départ une formation universitaire en Staps, que j’ai poursuivie jusqu’à une thèse sur les interactions entre piétons, avec une approche basée sur la science du mouvement. Or les expérimentations dans ce domaine sont très complexes méthodologiquement et c’est pour cela que je me suis ensuite tournée vers les sciences du numérique, en particulier la réalité virtuelle.

Celle-ci offre en effet la possibilité de standardiser les expériences, de manipuler plus facilement différents facteurs et même d’envisager des questions de recherche difficiles ou impossibles à appréhender en conditions réelles, comme de simuler l’évacuation d’un futur bâtiment. Il fallait cependant disposer d’un modèle numérique du déplacement d’un piéton, qui soit le plus proche possible de la réalité, ce qui a été l’objet de mon postdoc chez Inria. J’ai étudié le comportement d’un piéton réel face à un piéton virtuel, afin de vérifier qu’il interagissait de la même façon avec ce dernier qu’avec un véritable être humain. Cela signifiait finalement que notre piéton virtuel était utilisable comme alter ego du réel.

Et c’est ainsi qu’est née votre collaboration avec Inria ?

Tout à fait ! Lors de mon postdoc, j’ai intégré l’équipe-projet MimeTIC, puis j’y suis restée en tant que membre à part entière jusqu’en juillet 2022, lorsque j’ai rejoint Virtusqui développe des outils de conception de monde virtuel peuplé à des fins scientifiques.

En parallèle, je suis devenue maître de conférences à l’université Rennes 2 en biomécanique et membre du laboratoire « Mouvement sport santé » (M2S) de l’université. Je partage ainsi mon temps entre l’enseignement et mes deux équipes de recherche, entre lesquelles les liens sont très forts. Nous travaillons beaucoup sur des projets collaboratifs, soutenus par l’ANR ou par des fonds européens par exemple, et nous encadrons également ensemble des projets de thèse, avec des référents côté université et côté Inria.

Concrètement, comment vos recherches en biomécanique nourrissent-elles les sciences numériques et inversement ?

Les applications de mes études en science du mouvement sont très larges. Pouvoir simuler le comportement d’un piéton offre un intérêt pour le cinéma ou les jeux vidéo, lorsqu’il s’agit d’incruster des foules ou des personnages dans le décor de manière réaliste, ou encore pour la robotique.

Nous avons ainsi collaboré avec le Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes (le laboratoire de robotique de Toulouse) autour du mouvement d’un robot lorsque celui-ci travaille au contact des humains. À l’inverse, je mène des recherches avec une équipe québécoise sur les difficultés de déplacements et d’interactions sociales que rencontrent les patients victimes de traumatisme crânien lorsqu’ils reprennent leur quotidien. Celles-ci sont très mal documentées, car difficiles à expérimenter en conditions réelles. Je fais donc appel à l’expertise de mes collègues d’Inria pour mener les expériences en réalité virtuelle.

Il y a donc une complémentarité indispensable entre vos expertises ?

Oui, car les questions scientifiques et les thématiques générales sont partagées, mais nos regards sont différents. J’apporte mes connaissances sur le mouvement humain et son contrôle et mes collègues m’offrent leurs expertises en sciences du numérique. Et l’ensemble est forcément enrichissant.

L’interdisciplinarité est une philosophie gagnant-gagnant, c’est d’ailleurs pour cette raison qu’Inria est ouvert à des profils très variés. Chacun apporte ses projets de recherche et cela permet d’élargir les champs d’application. En 2010 par exemple, les chercheurs Inria se sont appuyés sur mes travaux de thèse pour proposer un modèle numérique basé sur la vision, destiné à l’étude des interactions entre piétons.

L’interdisciplinarité est une philosophie gagnant-gagnant, c’est d’ailleurs pour cette raison qu’Inria est ouvert à des profils très variés. Chacun apporte ses projets de recherche et cela permet d’élargir les champs d’application.

Cette interdisciplinarité peut-elle aussi représenter parfois une difficulté ?

Sur le plan administratif, avoir deux établissements de rattachement peut parfois compliquer les démarches. Choisir la facilité aurait donc consisté à ne pas soutenir l’interdisciplinarité… mais c’est exactement l’inverse qu’a fait Inria !

Malgré certaines contraintes administratives, Inria favorise vraiment les collaborations interdisciplinaires, qui sont un moyen de faire évoluer les recherches en sciences du numérique. J’ai même obtenu des financements pour démarrer une collaboration avec une équipe de l’université de Waterloo, au Canada, dans le domaine de la santé, ce qui agrandit encore mon horizon et celui de mes collègues.

Si l’interdisciplinarité était un style musical, lequel serait-il ?

Je pense à de l’électro ! Non pas pour le lien avec l’électronique et l’informatique, mais vraiment pour le côté expérimental, la création de projets innovants et originaux. L’artiste Rone par exemple a réalisé un album seul, puis a repris ses chansons avec d’autres musiciens, ce qui ouvre des perspectives. Un peu à la manière dont mes recherches alliées à celles de mes collègues élargissent nos horizons respectifs !

Étienne Arlaud, arrangeur de logiciels de robotique

En musique, l’arrangeur est celui qui adapte des morceaux pour un nouvel interprète ou un style différent. Étienne Arlaud, ingénieur de recherche au Centre Inria de Paris, joue le même rôle auprès de ses collègues de l’équipe-projet commune Willow, spécialisés en robotique. Il les aide à créer une plate-forme de robotique ouverte à la communauté scientifique, nationale et internationale.

L’industrie utilise des robots depuis des décennies. Qu’apporte la recherche en robotique aujourd’hui ?

Il y a un monde entre les robots industriels et ceux que nous développons en laboratoire. Le robot d’usine « standard » travaille dans un environnement immuable, ne se déplace pas et répète les mêmes tâches et les mêmes mouvements. Il est isolé dans une cage de protection et s’arrête si un opérateur franchit cette limite.

À l’inverse, les robots de nouvelle génération que nous concevons seront multitâches, mobiles et sauront coopérer avec un individu en toute sécurité. Ils circuleront sur des sols irréguliers, monteront et descendront des escaliers, etc. Mais il nous faudra un certain nombre d’années pour en arriver là.

Que trouve-t-on sur la plate-forme de robotique dont vous êtes responsable ?

Cette plate-forme accueille déjà plusieurs robots à la libre disposition des chercheurs Inria : deux bras robotiques associés à un établi, un robot quadrupède capable de marcher et de sauter, un robot à roues qui se déplace et se localise dans l’espace. D’autres arriveront par la suite, dont un robot humanoïde prévu pour 2023 ou 2024.

La plate-forme comporte aussi une face moins visible, mais essentielle : les logiciels qui pilotent ces robots. Plusieurs projets sont en cours pour développer des fonctions avancées : calculer avec une haute précision si le robot risque de heurter des obstacles lors de ses mouvements, définir la trajectoire optimale pour effectuer une tâche en consommant le moins d’énergie possible, ou encore lui apprendre à reconnaître des objets ou des scènes, etc.

Qui sont les publics visés par cette plate-forme ?

Le Centre Inria de Paris héberge physiquement cette plate-forme. Et, si l’équipe-projet commune Willow  en est la première utilisatrice, l’objectif est d’ouvrir la plate-forme aux autres scientifiques de l’écosystème, notamment sur le territoire francilien pour renforcer l’expertise collective en robotique et permettre à des projets de recherche de se développer plus rapidement.

Nous collaborons, par exemple, avec l’Université d’Évry autour d’une nouvelle génération de jambes pour robot humanoïde, plus proches de l’anatomie humaine, que nous devons maintenant apprendre à simuler. Autre exemple : avec l’Institut de systèmes intelligents et de robotique (Sorbonne Université – CNRS – Inserm), nous démarrons d’ici peu une thèse sur la commande optimale des robots grâce à des outils d’intelligence artificielle (IA). Nous travaillons aussi avec un laboratoire CNRS de Toulouse, le LAAS (Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes), sur un algorithme de vision avancée à base d’IA.

Enfin, nous avons des collaborations internationales avec l’université Charles de Prague et l’université de New York.

Le Centre Inria de Paris héberge la plate-forme de robotique et l’équipe-projet Willow en est la première utilisatrice. Mais l’objectif est aussi de l’ouvrir à d’autres scientifiques, notamment en Île-de-France.

Vous êtes pour votre part ingénieur de recherche. En quoi consiste votre rôle ?

En tant qu’ingénieur de recherche, j’ai une vision et une approche très complémentaires de celles des chercheurs qui conçoivent les algorithmes de ces robots. Je les aide à les adapter pour qu’ils fonctionnent sur un vrai robot. Ce qui suppose la maîtrise de connaissances en mécanique, en électronique ou en contrôle-commande, que je leur apporte. Notre objectif, c’est de mettre au point des algorithmes à la fois innovants et faciles à utiliser, ce qui peut s’avérer très difficile.

Vous travaillez donc en lien étroit avec vos collègues chercheurs mais aussi avec les scienti-fiques de l’écosystème ?

C’est l’un des aspects de mon métier que je préfère. Pour adapter des algorithmes à l’état de l’art aux contraintes de fonctionnement d’un robot, on ne peut pas avancer chacun dans son coin. Il faut collaborer, se mettre autour de la table et déterminer ensemble ce qui doit être simplifié, optimisé, modifié, etc. De plus, les ajustements que je demande ne doivent pas pénaliser les performances futures du robot.

J’essaie aussi d’orienter mes collègues de Willow vers des briques logicielles qui pourraient être réutilisables par d’autres équipes de recherche Inria. Les robots qui naîtront de ces recherches partenariales devront pouvoir être employés dans l’industrie, le domaine médical, les services à la personne, etc.

Vous êtes visiblement un passionné de robotique. Comment est né cet intérêt ?

J’ai suivi un cursus d’ingénieur généraliste à l’ISAE-Supaero, à Toulouse. Mais la robotique était déjà ma passion à l’époque, et j’ai saisi toutes les occasions d’approfondir ce domaine. Je me suis spécialisé en robotique en deuxième année, j’ai fréquenté le club de robotique des étudiants, etc.

J’ai aussi passé une année de césure dans le laboratoire de robotique du LAAS, à Toulouse. J’y ai découvert que la recherche académique allait bien plus loin que nos modestes projets amateurs, s’appuyait sur de solides fondements mathématiques et préparait cette « nouvelle génération » de robots à laquelle je suis heureux de contribuer aujourd’hui. Inria, à travers cette plate-forme, est un terrain de jeu sans limite pour moi : les expérimentations et développements à venir y seront toujours variés et technologiquement à la pointe !

Si vous deviez décrire votre métier avec une métaphore musicale, laquelle choisiriez-vous ?

Mon activité s’apparente à celle des arrangeurs, ces professionnels de la musique qui retravaillent des morceaux pour les adapter à un nouvel interprète ou les décliner dans un autre style musical. À mon niveau, je suis une sorte d’arrangeur de logiciels de robotique : mon intervention reste invisible, mais contribue à la performance et à la simplicité d’utilisation du robot.