Chargé de recherche et enseignant : polka à deux temps

Il y a tempo dans l’air… en tout cas, dans la vie d’Andrea Natale, chargé de recherche au centre Inria de l’Université de Lille. L’alternance entre cours et recherches repose sur un rythme binaire qui convient parfaitement à un chercheur dans les sciences du numérique… mais qui ne déplairait pas non plus à un musicien aguerri roué aux sessions d’impro, car elle implique une bonne dose de flexibilité !

Comment avez-vous rejoint Inria ?

Mon parcours est un peu particulier et très international. J’ai commencé par des études d’ingénierie à l’université de Naples, en Italie, que j’ai poursuivies par un master à l’université de Deft, aux Pays-Bas, avant de faire une thèse à l’Imperial College de Londres, au Royaume-Uni, en mathématiques appliquées et physique mathématique. Et c’est en postdoc que je suis arrivé à Paris, au sein de l’équipe-projet commune Mokaplan d’Inria.

Et cela vous a tout naturellement conduit à briguer un poste de chercheur, pour poursuivre votre parcours universitaire de recherche ?

Oui, je travaille aujourd’hui dans l’équipe-projet Rapsodi du centre Inria de l’Université de Lille. Mes recherches portent sur le développement de méthodes numériques pour la simulation de systèmes physiques, en particulier dans le domaine de la mécanique des fluides. Dans la continuité de ma thèse, durant laquelle je me suis intéressé à la simulation de l’évolution de l’atmosphère et des océans, je travaille à présent essentiellement sur des méthodes numériques pour le même type de modèles, mais avec des outils issus de la théorie du transport optimal. Ceux-ci permettent d’étudier des objets très généraux et offrent donc une grande flexibilité dans la conception et l’analyse des schémas numériques que j’essaie de développer.

Quels sont selon vous les autres avantages de l’enseignement ?

Il y en a plusieurs et ils sont d’ailleurs bien perçus par les chercheurs d’Inria. Au sein de mon équipe par exemple, tous sont comme moi enseignants par choix.

Les interactions avec les étudiants sont aussi une opportunité pour recruter des étudiants en stage et les motiver à travailler sur certains sujets. J’ai eu l’année dernière un étudiant de mon master en stage pour deux mois : il a développé des codes pour certains de mes thèmes de recherche, ce qui a été une bonne expérience pour lui et une bonne mise en pratique de ses compétences pour l’équipe.

En outre, les cours sont également l’occasion de réfléchir à des concepts de base de façon différente. Parfois, ce sont des concepts que nous n’avons pas l’habitude de penser en détail, mais devoir les expliquer oblige à les regarder sous des angles différents et permet de mieux les comprendre.

Enfin, l’enseignement offre une variation appréciable dans le tempo des recherches, qui peut s’avérer bénéfique. Ce mouvement de bascule, métronomique, garant de régularité, est aussi un gage de rigueur : nous sommes absorbés par notre sujet mais, toujours avec le même rythme, nous changeons de tonalité en passant en cours. Ceci peut redonner un souffle de créativité, faire naître de nouvelles idées…

Il existe donc aussi une complémentarité entre recherche et enseignement ?

Oui, clairement ! En particulier pour mon cours à l’Université de Lille, qui se rapproche de l’objet de mes recherches. Par exemple, j’ai travaillé pendant un temps sur certaines méthodes que je ne maîtrisais pas bien. J’ai donc choisi de les développer en cours, cela peut sembler paradoxal mais ça m’a donné un prétexte pour les approfondir et améliorer ainsi mes connaissances ! Il y a vraiment des allers-retours permanents : les cours donnent des idées, la recherche en fait germer aussi, les unes servent aux autres et vice versa.

Les cours sont également l’occasion de réfléchir à des concepts de base de façon différente. Parfois, ce sont des concepts que nous n’avons pas l’habitude de penser en détail, mais devoir les expliquer oblige à les regarder sous des angles différents et permet de mieux les comprendre.

L’enseignement couplé à la recherche était donc naturel, mais pourquoi chez Inria ?

D’une part, le thème des recherches de l’équipe que j’ai intégrée, qui offrait des perspectives d’interactions intéressantes. Et d’autre part, j’ai apprécié la liberté que propose Inria à ses chercheurs, au sein des équipes-projets, qui portent bien leur nom. Il y a bien sûr un projet d’équipe, mais au sein de celui-ci, les individus ont une certaine flexibilité pour choisir ce qu’ils considèrent comme important et veulent étudier. De plus, la structure de l’équipe en elle-même est très favorable aux recherches puisque le groupe donne la possibilité de discuter de nos questions scientifiques. Sans compter bien sûr les bénéfices sociaux du travail en équipe.

Cette recherche d’interactions est-elle également pour une part importante dans votre volonté d’enseigner ?

Dès mon master, j’ai collaboré à certains cours en tant qu’assistant, ce qui m’a tout de suite plu. L’interaction avec les étudiants peut être enrichissante dans le sens où elle nous apprend à expliquer les choses. Nous progressons ainsi en communication, et pour être pédagogues nous sommes poussés à nous améliorer sans cesse.

J’ai donc continué à enseigner tout au long de mon cursus. À présent, je donne un cours intitulé « Refresher in mathematics » – une remise à niveau en algèbre appliquée au traitement de données – dans le cadre du master 2 « Sciences des données » de l’Ecole Centrale de Lille, ainsi qu’un cours « Résolution numérique de problèmes non linéaires » au sein du master 1 « Sciences, Technologies, Santé, Mention Mathématiques et Applications » de l’Université de Lille.

L’enseignement influe-t-il sur les interactions avec vos collègues ?

Bien sûr ! La préparation des cours et les retours des étudiants sont l’occasion d’échanger entre nous. Par exemple, j’ai dû préparer celui pour l’École centrale dans un délai très court et je me suis donc appuyé sur le matériel que m’a fourni une collègue qui dispensait un cours un peu similaire. À l’Université de Lille, nous sommes en plus naturellement proches les uns des autres puisque les membres de Rapsodi font partie de l’équipe Analyse numérique et équations aux dérivées partielles (ANEDP) du Laboratoire Paul Painlevé de l’université. Nous pouvons nous aider pour les TD, partager des ressources et cela renforce encore les liens.

Si vous deviez associer un style musical à votre métier de chercheur et d’enseignant, lequel choisiriez-vous et pourquoi ?

Plutôt le jazz ! Car il faut savoir s’adapter très souvent au contexte auquel on fait face. Être à la fois enseignant et chercheur requiert un certain niveau de flexibilité et d’improvisation. C’est rythmé et varié !

Ingénieur de recherche : un solo au diapason du groupe

Jan-Michael Rye est ingénieur de recherche au centre Inria de Lyon. Il a mis tant de cordes à son arc que celui-ci semble aujourd’hui proche de la guitare ! De la biologie à l’informatique, en passant par la physique, son parcours interdisciplinaire lui permet de faire vibrer ses expertises au service de la médecine.

En quoi consiste votre travail ?

Je suis ingénieur de recherche, affecté à 100% à l’équipe-projet AIstroSight du centre Inria de Lyon. Nous travaillons sur l’utilisation des outils de l’intelligence artificielle, comme le big data, le machine learning, le deep learning, etc., afin de trouver des traitements pour les maladies orphelines du cerveau.

Peut-on dire que vous avez un parcours d’informaticien ?

Mon parcours n’a vraiment rien de linéaire en fait, et ne devient informaticien qu’assez récemment.

Je suis né aux États-Unis, puis j’ai déménagé en Suède, et c’est là-bas, à l’université de Skövde, que j’ai fait un master en biologie moléculaire. Je suis ensuite allé en Angleterre pour entamer une thèse de biologie que j’ai arrêtée au bout d’un an : je ressentais le besoin d’accroître mes connaissances sur les mécanismes physiques et chimiques se cachant derrière les processus biologiques. Je me suis donc lancé à mon arrivée en France dans des études de physique, avec à la clé un master en « nanoscale engineering », de la physique et de la biologie à l’échelle nanométrique. Durant ma dernière année, j’ai fait un stage au sein du laboratoire Agrégats et Nanostructures de l’UCBL (Université Claude Bernard Lyon 1), qui se focalise sur les interactions entre lumière et matière, et j’y suis resté pour une thèse ayant des applications potentielles en biodétection.

J’ai toujours voulu trouver des applications de mon travail à la biologie et à la médecine, c’est là le fil rouge de mon parcours.

Comment l’informatique s’est-elle insérée dans ce cursus ?

Mon intérêt pour l’informatique s’est développé au cours de mes études. Puisque j’étais déjà lancé dans des recherches en biologie et en physique, j’ai cultivé cet aspect-là au départ comme un hobby. Pendant dix ans, j’ai ainsi contribué à la communauté de l’open source et après ma thèse, j’ai voulu savoir si j’avais finalement acquis un niveau suffisant pour travailler dans le domaine du numérique. La réponse était positive : j’ai décroché un premier emploi de consultant HPC – calcul haute performance – puis un poste d’ingénieur R&D. Ces expériences m’ont donné confiance en moi et ont renforcé la crédibilité de mon CV.

Vous aviez alors toutes les cartes en main pour intégrer Inria ?

Mon profil était en effet pertinent et j’ai eu en outre la chance d’avoir connaissance de l’ouverture d’un poste qui me plaisait beaucoup. Comme l’institut est très proche de la recherche universitaire, il ne m’était pas inconnu et je savais que ce poste correspondait à mes attentes : une application de l’informatique dans le domaine de la médecine (les maladies du cerveau) et dans le milieu académique. Je n’avais cependant pas beaucoup d’espoir au moment de postuler car je n’avais pas un parcours purement informatique, mais finalement, c’est justement l’aspect interdisciplinaire de mon CV qui m’a permis d’être sélectionné !

C’est l’un de mes rôles : soutenir les chercheurs, essayer en quelque sorte de faire office d’encyclopédie locale !

Finalement votre interdisciplinarité est un précieux atout dans votre travail ?

Absolument, aussi bien pour l’aspect recherche que dans la compréhension des impératifs qui s’imposent aux industriels, dont mon passé m’a permis de prendre conscience à plusieurs niveaux.

Dans mon équipe de recherche, d’un côté, mes compétences en informatique et le fait d’avoir été autodidacte dans ce domaine m’offrent une grande indépendance dans la mise en place des projets, une facilité pour la montée en compétences, mais également la possibilité d’aider les autres membres de mon équipe pour leurs implémentations de code. C’est d’ailleurs l’un de mes rôles : soutenir les chercheurs, essayer en quelque sorte de faire office d’encyclopédie locale (ou de couteau suisse, selon les points de vue) !

De l’autre, comme nous collaborons avec des médecins et des biologistes, mes connaissances en biologie me permettent de comprendre leurs problématiques, les maladies du cerveau à soigner et la méthodologie recherchée pour y parvenir. Et je peux traduire tout cela en langage informatique.

Je suis à la croisée de tous les domaines de recherche de mon équipe.

Finalement, que t’a apporté ton expérience au contact du monde industriel dans ton quotidien au sein de ton équipe-projet ?

Dans le développement de mes compétences personnelles au sein de cette équipe de recherche, mon expérience dans l’industrie m’est également très utile. En effet, ce passé et ces expériences m’aident à prendre conscience de l’importance de la qualité des codes développés. Ceux que nous élaborons pour la recherche peuvent ne pas être parfaitement « propres » parce qu’ils sont destinés à ne fonctionner que pour une expérimentation. Mais dans l’industrie, il y a des standards pour que le code puisse être suivi dans le temps, transmis d’une personne à une autre et ce sont ces habitudes que j’essaie de garder et de promouvoir dans le monde académique. Il me semble que ces impératifs du monde industriel peuvent trouver à s’adapter au monde académique par la rigueur qu’ils nécessitent de mettre en place : cela ne peut qu’être pertinent dans un monde où la reproductibilité est centrale ! Le monde académique et le monde industriel ont tout à gagner à se nourrir mutuellement, qu’il s’agisse de partager leurs résultats ou leurs méthodes de travail.

Si vous deviez associer un style musical à votre métier d’ingénieur, lequel choisiriez-vous et pourquoi ?

Sans hésitation la guitare espagnole ! Car parfois il nous arrive de jouer en solo, parfois en équipe. Le tempo change, passe de calme à intense, quelquefois dans le même morceau, sur les mêmes recherches. Et le membre de l’équipe qui entraîne le reste du groupe change d’un morceau, d’un sujet, à l’autre. Enfin, il y a des passages qui paraissent simples de l’extérieur et qui sont pourtant techniquement difficiles et à l’inverse, des passages qui paraissent compliqués mais se font simplement. Et nous-mêmes pouvons être surpris par ces apparences trompeuses !

Directeur de laboratoire : une oreille attentive et musicale

Diriger sans mener à la baguette, voilà le credo d’Emmanuel Trélat, directeur du laboratoire de mathématiques Jacques-Louis Lions (LJLL), qui héberge cinq équipes-projets Inria. S’il se défend d’être un chef d’orchestre, il lui faut tout de même l’oreille musicale pour apprécier les tonalités variées qui résonnent dans son laboratoire.

Quels sont les rôles du laboratoire Jacques-Louis Lions, de Sorbonne Université et Université Paris Cité, que vous dirigez ?

Le laboratoire a été créé en 1969 par le mathématicien Jacques-Louis Lions, à qui nous devons le développement des mathématiques appliquées en France. Le LJLL est aujourd’hui sans doute le plus grand laboratoire de mathématiques appliquées au monde, regroupant 200 chercheurs, dont les membres de cinq équipes-projets Inria. Il a pour mission de couvrir les mathématiques sous leurs aspects théoriques et appliqués, ce qui conduit bien sûr à de nombreuses interactions avec d’autres disciplines et avec l’industrie.

Comment êtes-vous arrivé à la tête de ce laboratoire ?

Au départ, j’ai une thèse en géométrie, obtenue à l’université de Dijon en 2000 ; mais comme c’est souvent le cas dans notre milieu, les parcours bifurquent. Le mien a commencé à changer de trajectoire dès 2001, lorsque j’ai été recruté comme maître de conférences à l’université d’Orsay. Mes collègues m’ont suggéré de m’intéresser aux sciences numériques et cela m’a absolument passionné. J’ai aussi eu l’occasion de côtoyer des industriels et ces relations m’ont ouvert les yeux sur tout ce qu’il était possible de faire à partir des mathématiques appliquées. Puis je suis passé professeur à l’université d’Orléans et ensuite à Sorbonne Université. J’ai accepté en plus le poste de directeur de la Fondation Sciences mathématiques de Paris, qui chapeaute en quelque sorte l’ensemble de l’écosystème mathématique et informatique fondamentale de Paris Centre et Nord. L’expérience et la visibilité acquises m’ont mené à la direction du LJLL en 2020.

Qu’est-ce qui vous plaît dans cette fonction ?

Le sens du collectif : j’aime agir dans ce qu’on appelle la communauté des mathématiciens. Elle est réellement présente et forte en France, c’est l’une des raisons majeures qui font que les mathématiques françaises sont les premières au monde, et que j’aime participer à l’animation de cette communauté. J’écoute les besoins des uns et des autres et je contribue autant que possible à unir nos forces pour porter au plus haut niveau l’excellence des mathématiques françaises.

Ces interactions entre Sorbonne Université et Inria sont extrêmement bénéfiques : nous nous apportons mutuellement visibilité, vitalité et nous promouvons ensemble l’excellence sous toutes ses formes.

Au long de ce parcours, quel a été votre lien avec Inria ?

J’ai commencé à prendre conscience de l’importance d’Inria, de sa visibilité, lorsque j’étais à l’université d’Orsay. L’institut est une référence en France et à l’international et offre en outre d’excellentes conditions de recherches à ses personnels, ainsi qu’une forte exposition au monde industriel. Et celle-ci permet de nouer des contrats, de se poser de nouvelles questions, c’est stimulant ! J’ai donc eu envie de participer à tout cela et en 2006, j’ai intégré l’équipe-projet Inria Commands comme membre externe. En 2011, je l’ai quittée puis j’ai rejoint en 2017 l’équipe-projet Inria Cage, qui se concentre sur la théorie mathématique du contrôle, en d’autres termes, du pilotage de systèmes. J’y mène des recherches en mathématiques appliquées au domaine de l’aérospatiale, qui me fascine depuis que je suis enfant. Je pilote ainsi des fusées, des satellites, des navettes spatiales de façon virtuelle, depuis mon siège !

Vous êtes donc à l’interface entre Sorbonne Université et Inria ?

Tout à fait ! Mes liens sont très forts avec les deux organismes : j’enseigne et je dirige un laboratoire pour la première, je fais partie d’une équipe de recherche du second et mon laboratoire héberge certains de ses chercheurs. Ces interactions entre Sorbonne Université et Inria sont extrêmement bénéfiques : nous nous apportons mutuellement visibilité et vitalité, nous promouvons ensemble l’excellence sous toutes ses formes et assurons le transfert de connaissances, que celui-ci se fasse via les publications scientifiques, l’enseignement, les prix obtenus ou les projets industriels. La politique de recrutement d’Inria est pour Sorbonne Université une opportunité d’attirer des chercheurs brillants qui augmentent le rayonnement du laboratoire grâce à notre collaboration. Et l’inverse est également vrai : nous sommes toujours meilleurs en étant unis.

Un regret au milieu de toute cette activité ?

Celui de ne pas avoir créé de startup… et aujourd’hui le temps me manque. L’industrie spatiale européenne va assez mal et aurait besoin de sang neuf ; j’encourage donc mes doctorants et mes jeunes collègues à se lancer dans le monde industriel. La collaboration avec Inria nous est très profitable sur ce point : l’institut soutient fortement la création de startup et soutient leur développement via le Startup Studio. À défaut d’avoir lancé une startup, j’ai envie d’aider les autres à le faire !

Si vous deviez associer un style musical à votre métier de directeur de laboratoire, lequel choisiriez-vous et pourquoi ?

Pas de style particulier mais plutôt une joyeuse cacophonie. Certains sons ne sont pas encore très agréables à l’oreille car il s’agit d’études qui débutent, les chercheurs tâtonnent… tandis que d’autres sont des symphonies très achevées, de beaux projets, des prix obtenus. En revanche, je refuse de jouer les chefs d’orchestre de tout ce petit monde : notre laboratoire est collaboratif, les décisions stratégiques sont prises ensemble.

Laura Richert, médecin et chercheuse infatigable en mode « Cours, Lola, cours »

À la fois médecin hospitalier, professeure d’université et chercheuse chez Inria, Laura Richert mène sa vie professionnelle sur un rythme haletant, jonglant avec les disciplines sur le tempo endiablé qu’elle compare à la musique électro, et se bat sur tous les fronts pour que les essais cliniques sur les vaccins livrent leurs résultats plus vite.

Vous menez de front trois vies professionnelles. Comment faites-vous ?

Je peux compter sur mes équipes et sur mes collègues, et j’essaie de me concentrer sur l’essentiel ! Cela dit, il existe des synergies entre ces trois domaines. Je m’appuie sur nos recherches à SISTM (équipe-projet Inria – Inserm – université de Bordeaux) pour proposer à mes collègues du CHU de Bordeaux des méthodes innovantes pour leurs essais cliniques. Cette activité hospitalière me fournit des données réelles que j’utilise pour faire travailler mes étudiants.

L’objectif est de faire vivre ce cercle vertueux de recherche, de mise en pratique et de transmission de connaissances. Il est bénéfique à la fois pour Inria, pour le CHU et pour l’université de Bordeaux.

Comment les méthodes statistiques améliorent-elles les essais cliniques sur les vaccins ?

L’enjeu d’un essai clinique, c’est d’avoir des réponses robustes le plus vite possible : on l’a vu avec la Covid-19. Historiquement, cette double contrainte s’est traduite par des protocoles très longs : si on injectait un vaccin à 1 000 patients au rythme de 100 par mois, on attendait la dernière injection pour exploiter les résultats. Les analyses intermédiaires étaient proscrites, de peur d’aboutir à des conclusions erronées.

Or, bien utilisées, les nouvelles méthodes statistiques suppriment ce risque : je peux déjà tirer des enseignements fiables avec seulement quelques centaines de patients. Donc, savoir si l’essai mérite d’être poursuivi, ou si l’une des formules de vaccin évaluées doit être abandonnée au profit d’une autre, etc., est aujourd’hui possible.

Les méthodes statistiques seules suffisent-elles pour réaliser ces gains de temps ?

Malheureusement non, car l’efficacité d’un vaccin se juge à son action sur le système immunitaire. Il faut donc mener en parallèle des recherches en immunologie, pour déterminer des marqueurs pertinents de cette efficacité. Ce sujet s’appuie largement sur les travaux sur le VIH conduits depuis 40 ans. Même s’ils n’ont pas encore abouti à un vaccin, ils ont permis des avancées majeures dans la mesure fine de la réponse immunitaire.

Dans votre activité de chercheuse, quelles sont vos sources d’inspiration ?

L’essentiel de la littérature scientifique sur les essais cliniques concerne des médicaments. C’est mon principal matériau, que j’adapte ensuite aux essais sur les vaccins. Les différences peuvent être majeures. Par exemple, tout le monde admet qu’une chimiothérapie puisse avoir des effets secondaires très lourds. En revanche, pour un vaccin, l’acceptation des effets indésirables est minimale. Nous n’avons pas droit à l’erreur.

J’essaie de faire vivre un cercle vertueux de recherche, de mise en pratique et de transmission de connaissances entre Inria, l’Inserm, le CHU de Bordeaux et l’université de Bordeaux.

En tant que médecin au CHU de Bordeaux, vous avez choisi l’épidémiologie et non le soin. Pourquoi ?

Il existe plusieurs façons de soigner les patients. Pour ma part, je crée des passerelles entre les sciences médicales fondamentales et la pratique clinique – ce qu’on appelle la « médecine translationnelle » – pour accélérer les progrès. Si demain on trouve plus vite des vaccins plus efficaces, des millions de personnes seront mieux protégées.

Mes études de médecine en Allemagne ne me prédestinaient pas à cette orientation. Mais un stage à l’OMS (l’Organisation mondiale de la santé) m’a fait découvrir la santé publique, qui m’a captivée, et j’ai poursuivi dans cette voie. J’ai notamment fait une thèse sur les méthodologies des essais cliniques de vaccins VIH sous la direction de Rodolphe Thiébaut, le responsable de l’équipe-projet SISTM.

Avez-vous l’occasion de mettre en pratique vos travaux de recherche ?

Oui, constamment, puisque mon rôle au CHU de Bordeaux est d’épauler des collègues cliniciens qui mettent en place de « vrais » essais. En mars 2020 par exemple, nous avons participé à un essai clinique national sur des traitements contre la Covid-19. Malgré un nombre de patients plus faible que prévu, nous avons produit des résultats de qualité grâce à nos méthodes statistiques novatrices. Nous mettons aussi en œuvre des essais vaccinaux dans nos collaborations nationales et internationales.

En quoi consiste votre activité de professeure à l’université de Bordeaux ?

Je coordonne l’une des unités d’enseignement du master 2 Sciences des données en santé publique. Elle porte sur les données de génomique, protéomique et transcriptomique des essais cliniques, sur lesquelles je travaille aussi en tant que chercheuse.

Au-delà des connaissances, j’insiste sur la rigueur scientifique : les méthodes statistiques sont puissantes, mais pas magiques, il faut les utiliser avec discernement. J’inculque également à mes étudiants un solide esprit critique. De nouvelles méthodes sortiront ces prochaines années, et ils devront en apprécier l’intérêt et les limites.

Si vous deviez associer un style musical à votre métier, lequel choisiriez-vous ?

La musique électro du film Cours, Lola, cours, qui m’a marquée par son rythme soutenu. L’héroïne court littéralement, du début à la fin, pour sauver un proche… et elle y parvient. Ma vie, c’est un peu cela : courir, pour mener de front mes trois activités et pour raccourcir les essais cliniques sur les vaccins.

Patrick Joly, l’accordeur d’équipes de recherche

Comme d’autres accordent des pianos, Patrick Joly crée une ambiance sans fausse note et des collaborations harmonieuses parmi les 30 chercheurs de l’équipe-projet commune qu’il a fondée en 2005, Poems. Leur domaine : la modélisation de la propagation des ondes.

Depuis vos débuts chez Inria en 1980, vous travaillez sur la modélisation de la propagation des ondes. À quoi sert-elle ?

Au départ, nous répondons le plus souvent à des demandes industrielles. Une société de prospection pétrolière veut affiner la détection de gisements souterrains par ondes sismiques. Un avionneur cherche à réduire le bruit de ses appareils. Un fabricant de pièces techniques améliore leur contrôle non destructif – c’est-à-dire sans dégradation des pièces – par ondes ultrasonores, etc.

Pour apporter des solutions, nous devons modéliser les ondes impliquées et concevoir des méthodes de calcul afin de simuler leur comportement. On passe à une démarche mathématique et théorique poussée qui nécessite des années de travaux et de thèses.

Malgré tout, il reste plus rapide et moins cher de simuler des ondes sismiques sur ordinateur que de multiplier les forages pétroliers sur le terrain, ou de comparer plusieurs avions virtuels dont on mesure le niveau sonore que de les fabriquer en grandeur nature. C’est ce qui intéresse les industriels. De notre côté, nous renforçons nos connaissances fondamentales sur différents types d’ondes : acoustique, élastique, électromagnétique, ondes de gravité…

Pourquoi avez-vous eu envie très tôt de créer des équipes de recherche multicompétences ?

Les ondes interagissent toujours avec d’autres milieux. Par exemple, j’ai besoin de connaissances en acoustique et en mécanique des fluides pour caractériser le bruit d’un avion en vol. Ou j’étudie aujourd’hui avec des physiciens des métamatériaux capables de dévier les rayons lumineux et de créer ainsi une sorte « d’effet d’invisibilité ».

« Onde », l’équipe de recherche que vous avez créée et dirigée à partir de 1996, était pourtant 100% Inria…

Je ne voulais pas brûler les étapes. À l’époque, l’objectif était d’afficher nos activités de modélisation de la propagation des ondes, car ce thème montait en puissance partout dans le monde, pour la prospection pétrolière. Onde est passée en quelques années à quinze collaborateurs !

Mais dès cette époque, nous tissions des liens avec des collègues de l’ENSTA et du CNRS qui travaillaient sur le même sujet. Nous nous croisions dans les conférences ou dans les couloirs de l’École polytechnique, où nous donnions des cours. Nous avons créé un séminaire de recherche commun. J’ai mené plusieurs projets scientifiques avec Anne-Sophie Bonnet-Ben Dhia, qui m’a succédé à la tête de l’équipe-projet en 2014, etc.

En devenant une équipe-projet commune, nous avons gagné en visibilité et attiré davantage de candidats de qualité. […] Et la cohabitation entre spécialistes de disciplines diverses a ouvert de nouveaux sujets de recherche.

Quel a été le déclic qui a donné naissance à l’équipe-projet commune en 2005, dénommée Poems ?

Il y a eu à la fois une envie des chercheurs eux-mêmes et un soutien fort de nos directions. Nous « vivions déjà ensemble ». Le stade suivant, c’était la reconnaissance officielle sous une signature commune. À cette époque, l’équipe-projet Onde est donc devenue l’équipe-projet Poems.

Quels bénéfices en attendiez-vous ?

En passant de 15 à 30 collaborateurs, nous avons gagné en visibilité et attiré davantage de candidats de qualité. Nous avons aussi élargi le cercle de nos contacts, plus industriels chez nous, plus académiques à l’ENSTA et au CNRS. Enfin, avec le déménagement sur le campus de Polytechnique, nous nous sommes installés dans des locaux neufs et spacieux de l’ENSTA, dont les étudiants représentent un important vivier de futurs doctorants.

Et sur le plan scientifique ?

Il n’y a pas eu de révolution. Mais les collaborations qui préexistaient (par exemple les coencadrements de thèses) sont devenues plus nombreuses. Et la cohabitation entre spécialistes de disciplines diverses a ouvert de nouveaux sujets de recherche. Exemple : j’ai abordé l’aéroacoustique chez Airbus grâce à la présence à mes côtés de collègues du CNRS, experts en mécanique et en acoustique.

Poems est réputée pour la qualité de son ambiance harmonieuse. À quoi est-elle due ?

Les chercheurs aiment travailler ici ; ils nous le disent souvent, et plus encore quand ils nous quittent ! La vie d’équipe est rythmée par les réunions de laboratoire deux fois par an ou les séminaires doctorants. De manière informelle, nous nous retrouvons le midi pour un point café et chaque trimestre, pour un repas convivial où chacun apporte un plat.

Nous veillons à entretenir cette dynamique à travers nos recrutements. Il nous arrive d’écarter des candidats excellents, mais qui ne sont pas au diapason du groupe. Car nous donnons leur chance aux prétendants qui s’intégreront le mieux dans Poems. Nous les aidons à monter leur dossier, à répéter leur audition, etc. Les heureux élus seront choisis par la direction.

Quelle métaphore musicale choisiriez-vous pour décrire votre métier ?

En dehors du travail, je prends des cours de piano et je joue pour mon plaisir, avec une prédilection pour le répertoire classique. vient est celle de l’accordeur, dont les réglages subtils font « sonner » ensemble les quelque 250 cordes de l’instrument. C’est sans doute aussi difficile que de faire travailler harmonieusement 30 scientifiques !

Ingénieure dans une équipe-projet commune ou le plaisir de jouer en groupe

L’équipe-projet Storm n’écrit pas la partition d’un morceau à quatre mains mais à bien plus que cela ! Comme beaucoup d’équipes de recherche Inria, elle ressemble à un orchestre complet, auquel participent des chercheurs venus de diverses institutions. Nathalie Furmento en fait partie et apprécie les accords du travail collaboratif.

Pourriez-vous nous présenter l’équipe-projet Storm dont vous faites partie ?

Notre équipe-projet est spécialisée dans le calcul haute performance. Pour simplifier, nous avons aujourd’hui des supercalculateurs, qui sont des ordinateurs liés les uns aux autres, afin de pouvoir effectuer de gros calculs à partir de grands volumes de données. Et notre mission est de faire le lien entre les applications qui permettent de faire ces calculs et les machines qui vont les supporter. Nous créons ainsi des supports d’exécution afin que les applications s’exécutent le plus vite possible, quel que soit le supercalculateur qui s’en charge. En parallèle, je travaille aussi dans l’équipe technique de PlaFRIM, plate-forme de calcul haute performance et d’expérimentation cogérée par Inria, le CNRS et l’université de Bordeaux via le Labri (Laboratoire bordelais de recherche en informatique). J’y mène des actions d’aide aux utilisateurs.

Vous êtes donc ingénieure de recherche dans une équipe-projet Inria ?

Je suis effectivement ingénieure de recherche CNRS dans une équipe-projet commune Inria. L’équipe-projet Storm est en fait composée de membres venant de quatre organismes différents : Inria, le CNRS, l’université de Bordeaux et l’école d’ingénieurs Bordeaux-INP. Cette organisation – sous forme d’équipe-projet commune à plusieurs institutions – est très fréquente chez Inria et apporte de nombreux avantages pour ceux qui y travaillent et pour les organismes ou même les industriels qui y participent.

Quels sont justement les bénéfices pour les chercheurs d’équipes-projets communes ?

C’est en premier lieu une solution logique : nous sommes d’un même domaine, nous avons les mêmes objectifs et cela a donc du sens de collaborer. J’accorde beaucoup plus d’importance aux compétences des personnes avec qui je travaille qu’aux organismes dont ils sont salariés.

L’avantage d’avoir une équipe-projet commune reconnue par les établissements de rattachement est que cela doit simplifier la vie des membres de l’équipe, avoir des budgets de l’équipe gérés par l’un d’eux et pouvoir bénéficier du soutien de tous, notamment en termes scientifiques pour conduire le projet de l’équipe.

Les financeurs apprécient également les projets collaboratifs, donc faire partie d’une équipe-projet commune peut aussi aider à décrocher des subventions. Enfin, scientifiquement et humainement, rassembler des chercheurs d’institutions différentes est forcément enrichissant : nous nous apportons d’autres points de vue, d’autres méthodes, d’autres outils.

Scientifiquement et humainement, rassembler des chercheurs d’institutions différentes est forcément enrichissant : nous nous apportons d’autres points de vue, d’autres méthodes, d’autres outils.

Cette organisation est-elle également une opportunité pour le monde de la recherche en général ?

Bien sûr ! Ce serait quand même dommage de ne pas permettre aux chercheurs de travailler ensemble et de diffuser leurs compétences. Là, chaque organisme participant y gagne, car les chercheurs ne sont que plus performants en collaborant avec les autres spécialistes de leur domaine. L’union des forces est toujours bénéfique. La recherche française en sort ainsi plus efficace.

Pour les institutions, même si cela implique quelques conventions supplémentaires, c’est également un avantage : chacune profite des avancées scientifiques et du rayonnement de l’équipe. Les universités peuvent s’appuyer sur les chercheurs partenaires pour trouver des applications dans l’enseignement ou encore offrir des expériences professionnelles à leurs étudiants. Tout le monde y trouve un bénéfice.

Au quotidien, cette composition mixte a-t-elle un impact en termes de fonctionnement ?

Quasiment pas. Nous avons parfois une petite dose d’administratif à faire en plus quand une mission est prise en charge par l’un des établissements de rattachement de l’équipe-projet. Pour les chercheurs, la seule différence est que leur évaluation est réalisée par les supérieurs hiérarchiques de nos institutions de rattachement. Bref, nous sommes véritablement une seule et même équipe. D’ailleurs, quand nous publions un article, les institutions de tous les chercheurs y figurent, comme un seul groupe.

Est-ce un système auquel vous-même êtes habituée ?

En fait, je n’ai connu que celui-ci. Après mon master 2 en informatique à l’université Nice-Sophia-Antipolis, j’ai fait ma thèse dans l’équipe-projet Inria Sloop, commune au CNRS et à l’université Nice-Sophia-Antipolis ! Puis je suis partie cinq ans pour un postdoc à l’Imperial College de Londres et en rentrant, j’ai décroché un poste au CNRS comme ingénieure de recherche au Labri (Laboratoire bordelais de recherche en informatique), dont fait partie l’équipe-projet Storm, où je travaille depuis cinq ans. J’ignore si travailler au sein d’une équipe de recherche qui n’aurait des chercheurs que d’un seul organisme me conviendrait, mais je sais en tout cas que l’organisation commune me plaît ! Nous avons tous des parcours différents, des compétences similaires ou complémentaires et c’est ce qui fait la force de l’équipe.

Si vous deviez associer un style musical à votre équipe commune, lequel choisiriez-vous et pourquoi ?

Nous sommes un orchestre. Et nous pouvons jouer n’importe quelle musique : du classique, de la fanfare, du rock… Car en fait, nous avons tous des instruments différents : nos compétences, que nous maîtrisons très bien. Et nous arrivons à jouer tous ensemble, à nous accorder, à collaborer, pour faire entendre, à la fin, une belle harmonie.

Jeune chercheur chez Inria ? C’est faire partie d’une bande originale

C’est une petite musique alternative que proposent les Inria Starting Faculty Position : elles permettent aux jeunes chercheurs de trouver un équilibre entre recherche et enseignement, entre Inria et ses partenaires universitaires. Un positionnement original, qui convient très bien à Mostafa Sadeghi !

Vous êtes arrivé chez Inria lors de votre postdoc ; pourquoi avoir choisi l’institut ?

Pour de multiples raisons ! Je venais de finir ma thèse à l’université de technologie de Sharif, en Iran, sur le machine learning et le traitement de signal. Ma femme était quant à elle en train de faire la sienne à Grenoble. J’ai donc souhaité la rejoindre et Inria était le lieu idéal pour poursuivre mes études : l’institut était reconnu internationalement et le sujet du postdoc proposé alors par l’équipe-projet Perception du Centre Inria de l’Université Grenoble Alpes me correspondait tout à fait. Il s’agissait de travailler sur le traitement des signaux audiovisuels pour l’amélioration de la qualité et de l’intelligibilité de la parole. En d’autres termes, d’utiliser des algorithmes capables de prendre en compte le son ainsi que le mouvement des lèvres de celui qui parle pour mieux comprendre le discours.

Et en 2020, après plus de deux ans de postdoc, vous avez rejoint le Centre Inria de l’Université de Lorraine…

À l’époque, j’envisageais de devenir chargé de recherche classe normale (CRCN), mais j’ai entendu parler des nouvelles Inria Starting Faculty Positions (ISFP). Et ces postes, destinés aux jeunes chercheurs, m’ont fortement intéressé car ils fixent une obligation d’enseigner.

J’avais toujours eu envie de donner des cours, mais je souhaitais trouver un équilibre entre l’enseignement et la recherche. Être maître de conférences à l’université faisait trop pencher la balance vers le premier, tandis qu’être CRCN risquait de me conduire à ne concentrer ma carrière que sur la recherche. Avec l’ISFP, j’avais la certitude d’enseigner, mais aussi d’avoir suffisamment de temps pour mes recherches. J’ai donc passé le concours et en 2020, j’ai intégré l’équipe-projet Multispeech  du centre Inria de l’Université de Lorraine, en tant qu’ISFP.

Comment s’est ensuite organisée la partie enseignement de votre fonction ?

J’ai débuté en 2020 pendant le confinement… donc cela n’a pas été le plus simple ! Mais j’ai demandé des conseils à mes collègues, qui m’ont orienté vers les responsables de certains cours à l’Université de Lorraine. Et c’est ainsi que j’ai commencé à enseigner. Je donne un cours en machine learning, un cours en statistiques et un cours « corpus pour la parole », dans le cadre de masters en sciences cognitives et en traitement automatique des langues, proposés par l’institut des sciences du digital de l’université.

J’ai également donné un cours sur l’intelligence artificielle à des étudiants de Telecom Nancy, qui sera sans doute reconduit, et je supervise des étudiants des Mines de Nancy pour leur apprendre à mener des recherches et les accompagner dans des projets scientifiques. Au final, je dispense 45h de cours chaque année. C’est un bon équilibre avec mon activité de chercheur.

Qu’est-ce qui vous plaît dans ces enseignements ?

J’aime transmettre aux étudiants l’expérience et le savoir acquis lors de mes recherches. Les cours m’offrent aussi l’occasion d’approfondir certains sujets, ou encore d’utiliser mes problématiques de recherche comme exemples. Enfin, l’enseignement à l’université me donne le sentiment d’avoir un lien fort avec cette institution et ses chercheurs.

L’enseignement à l’université me donne le sentiment d’avoir un lien fort avec cette institution et ses chercheurs.

Justement, quel est l’intérêt de travailler, via l’enseignement, avec différentes institutions ?

L’intérêt est double : d’une part, côtoyer des collègues d’autres organismes élargit mes horizons d’enseignant. Nous nous concertons pour l’organisation des cours et nous apprenons les uns des autres. Et d’autre part, cette collaboration est bénéfique pour mes recherches. Je rencontre des scientifiques avec différentes expertises, différentes problématiques et là encore, je peux demander des conseils, échanger et bientôt je l’espère, monter des projets collaboratifs avec mes collègues enseignants !

Et pour les étudiants, cette mixité des enseignants est-elle bénéfique ?

Je le crois en effet. Ils profitent de contextes de recherche différents, de façons variées d’amener les problématiques ou de dispenser les cours, de l’expérience de chacun. Et cette diversité joue un rôle important dans la qualité de l’enseignement.

Du côté de la recherche, l’ISFP vous permet-elle également de mener à bien votre carrière ?

Tout à fait ! Sur cet aspect-là, il n’y a pas de différence avec un poste de chargé de recherche : nous pouvons mener les mêmes études et bénéficier des mêmes soutiens. Je poursuis ainsi au sein de l’équipe-projet Multispeech les recherches commencées lors de mon postdoc, qui mêlent traitement du signal et outils de machine learning. L’objectif est de mettre au point des algorithmes capables d’intégrer le son et le mouvement des lèvres de l’interlocuteur pour restituer un discours clair, même si celui-ci est formulé dans un environnement bruyant.

Les applications sont multiples. Il peut s’agir d’installer ces algorithmes dans des smartphones : ils filtreront le bruit de fond et s’aideront du mouvement des lèvres de la personne qui téléphone pour restituer un discours clair à celui qui est à l’autre bout de la ligne. Cette technologie peut aussi s’appliquer aux aides auditives des personnes malentendantes. Ou encore améliorer les performances de reconnaissance des instructions par les assistants vocaux des machines.

Si le poste d’ISFP était un instrument de musique, lequel serait-il et pourquoi ?

Ce serait une flûte de Pan ! Tout simplement parce que je commence à en jouer et que c’est une nouveauté pour moi, comme l’est l’ISFP ! Mais aussi parce que la flûte de Pan a ses propres caractéristiques musicales et sa texture sonore originale qui la rendent particulière. Tout comme l’ISFP est particulière par l’équilibre qu’elle offre entre enseignement et recherche et par la façon dont elle crée des liens avec les universités.