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Portrait

L’interdisciplinarité, une musique expérimentale pleine de possibilités

Portrait d'Anne-Hélène Olivier, interdisciplinarité

De la biomécanique au sein d’une équipe spécialisée en sciences numériques ? Chez Inria, cela n’a rien d’une fausse note. Anne-Hélène Olivier, enseignante-chercheuse en science du mouvement à l’université Rennes 2 et membre de l’équipe-projet Virtus du Centre Inria de l’Université de Rennes prouve que l’interdisciplinarité conduit à des études… qui sonnent très bien !

Vous êtes docteure en Sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps) et membre de l’équipe-projet Virtus du Centre Inria de l’Université de Rennes. D’où vient cette étonnante double casquette ?

J’ai au départ une formation universitaire en Staps, que j’ai poursuivie jusqu’à une thèse sur les interactions entre piétons, avec une approche basée sur la science du mouvement. Or les expérimentations dans ce domaine sont très complexes méthodologiquement et c’est pour cela que je me suis ensuite tournée vers les sciences du numérique, en particulier la réalité virtuelle.

Celle-ci offre en effet la possibilité de standardiser les expériences, de manipuler plus facilement différents facteurs et même d’envisager des questions de recherche difficiles ou impossibles à appréhender en conditions réelles, comme de simuler l’évacuation d’un futur bâtiment. Il fallait cependant disposer d’un modèle numérique du déplacement d’un piéton, qui soit le plus proche possible de la réalité, ce qui a été l’objet de mon postdoc chez Inria. J’ai étudié le comportement d’un piéton réel face à un piéton virtuel, afin de vérifier qu’il interagissait de la même façon avec ce dernier qu’avec un véritable être humain. Cela signifiait finalement que notre piéton virtuel était utilisable comme alter ego du réel.

Et c’est ainsi qu’est née votre collaboration avec Inria ?

Tout à fait ! Lors de mon postdoc, j’ai intégré l’équipe-projet MimeTIC, puis j’y suis restée en tant que membre à part entière jusqu’en juillet 2022, lorsque j’ai rejoint Virtusqui développe des outils de conception de monde virtuel peuplé à des fins scientifiques.

En parallèle, je suis devenue maître de conférences à l’université Rennes 2 en biomécanique et membre du laboratoire « Mouvement sport santé » (M2S) de l’université. Je partage ainsi mon temps entre l’enseignement et mes deux équipes de recherche, entre lesquelles les liens sont très forts. Nous travaillons beaucoup sur des projets collaboratifs, soutenus par l’ANR ou par des fonds européens par exemple, et nous encadrons également ensemble des projets de thèse, avec des référents côté université et côté Inria.

Concrètement, comment vos recherches en biomécanique nourrissent-elles les sciences numériques et inversement ?

Les applications de mes études en science du mouvement sont très larges. Pouvoir simuler le comportement d’un piéton offre un intérêt pour le cinéma ou les jeux vidéo, lorsqu’il s’agit d’incruster des foules ou des personnages dans le décor de manière réaliste, ou encore pour la robotique.

Nous avons ainsi collaboré avec le Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes (le laboratoire de robotique de Toulouse) autour du mouvement d’un robot lorsque celui-ci travaille au contact des humains. À l’inverse, je mène des recherches avec une équipe québécoise sur les difficultés de déplacements et d’interactions sociales que rencontrent les patients victimes de traumatisme crânien lorsqu’ils reprennent leur quotidien. Celles-ci sont très mal documentées, car difficiles à expérimenter en conditions réelles. Je fais donc appel à l’expertise de mes collègues d’Inria pour mener les expériences en réalité virtuelle.

Il y a donc une complémentarité indispensable entre vos expertises ?

Oui, car les questions scientifiques et les thématiques générales sont partagées, mais nos regards sont différents. J’apporte mes connaissances sur le mouvement humain et son contrôle et mes collègues m’offrent leurs expertises en sciences du numérique. Et l’ensemble est forcément enrichissant.

L’interdisciplinarité est une philosophie gagnant-gagnant, c’est d’ailleurs pour cette raison qu’Inria est ouvert à des profils très variés. Chacun apporte ses projets de recherche et cela permet d’élargir les champs d’application. En 2010 par exemple, les chercheurs Inria se sont appuyés sur mes travaux de thèse pour proposer un modèle numérique basé sur la vision, destiné à l’étude des interactions entre piétons.

L’interdisciplinarité est une philosophie gagnant-gagnant, c’est d’ailleurs pour cette raison qu’Inria est ouvert à des profils très variés. Chacun apporte ses projets de recherche et cela permet d’élargir les champs d’application.

Cette interdisciplinarité peut-elle aussi représenter parfois une difficulté ?

Sur le plan administratif, avoir deux établissements de rattachement peut parfois compliquer les démarches. Choisir la facilité aurait donc consisté à ne pas soutenir l’interdisciplinarité… mais c’est exactement l’inverse qu’a fait Inria !

Malgré certaines contraintes administratives, Inria favorise vraiment les collaborations interdisciplinaires, qui sont un moyen de faire évoluer les recherches en sciences du numérique. J’ai même obtenu des financements pour démarrer une collaboration avec une équipe de l’université de Waterloo, au Canada, dans le domaine de la santé, ce qui agrandit encore mon horizon et celui de mes collègues.

Si l’interdisciplinarité était un style musical, lequel serait-il ?

Je pense à de l’électro ! Non pas pour le lien avec l’électronique et l’informatique, mais vraiment pour le côté expérimental, la création de projets innovants et originaux. L’artiste Rone par exemple a réalisé un album seul, puis a repris ses chansons avec d’autres musiciens, ce qui ouvre des perspectives. Un peu à la manière dont mes recherches alliées à celles de mes collègues élargissent nos horizons respectifs !

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