À la fois médecin hospitalier, professeure d’université et chercheuse chez Inria, Laura Richert mène sa vie professionnelle sur un rythme haletant, jonglant avec les disciplines sur le tempo endiablé qu’elle compare à la musique électro, et se bat sur tous les fronts pour que les essais cliniques sur les vaccins livrent leurs résultats plus vite.
Vous menez de front trois vies professionnelles. Comment faites-vous ?
Je peux compter sur mes équipes et sur mes collègues, et j’essaie de me concentrer sur l’essentiel ! Cela dit, il existe des synergies entre ces trois domaines. Je m’appuie sur nos recherches à SISTM (équipe-projet Inria – Inserm – université de Bordeaux) pour proposer à mes collègues du CHU de Bordeaux des méthodes innovantes pour leurs essais cliniques. Cette activité hospitalière me fournit des données réelles que j’utilise pour faire travailler mes étudiants.
L’objectif est de faire vivre ce cercle vertueux de recherche, de mise en pratique et de transmission de connaissances. Il est bénéfique à la fois pour Inria, pour le CHU et pour l’université de Bordeaux.
Comment les méthodes statistiques améliorent-elles les essais cliniques sur les vaccins ?
L’enjeu d’un essai clinique, c’est d’avoir des réponses robustes le plus vite possible : on l’a vu avec la Covid-19. Historiquement, cette double contrainte s’est traduite par des protocoles très longs : si on injectait un vaccin à 1 000 patients au rythme de 100 par mois, on attendait la dernière injection pour exploiter les résultats. Les analyses intermédiaires étaient proscrites, de peur d’aboutir à des conclusions erronées.
Or, bien utilisées, les nouvelles méthodes statistiques suppriment ce risque : je peux déjà tirer des enseignements fiables avec seulement quelques centaines de patients. Donc, savoir si l’essai mérite d’être poursuivi, ou si l’une des formules de vaccin évaluées doit être abandonnée au profit d’une autre, etc., est aujourd’hui possible.
Les méthodes statistiques seules suffisent-elles pour réaliser ces gains de temps ?
Malheureusement non, car l’efficacité d’un vaccin se juge à son action sur le système immunitaire. Il faut donc mener en parallèle des recherches en immunologie, pour déterminer des marqueurs pertinents de cette efficacité. Ce sujet s’appuie largement sur les travaux sur le VIH conduits depuis 40 ans. Même s’ils n’ont pas encore abouti à un vaccin, ils ont permis des avancées majeures dans la mesure fine de la réponse immunitaire.
Dans votre activité de chercheuse, quelles sont vos sources d’inspiration ?
L’essentiel de la littérature scientifique sur les essais cliniques concerne des médicaments. C’est mon principal matériau, que j’adapte ensuite aux essais sur les vaccins. Les différences peuvent être majeures. Par exemple, tout le monde admet qu’une chimiothérapie puisse avoir des effets secondaires très lourds. En revanche, pour un vaccin, l’acceptation des effets indésirables est minimale. Nous n’avons pas droit à l’erreur.
J’essaie de faire vivre un cercle vertueux de recherche, de mise en pratique et de transmission de connaissances entre Inria, l’Inserm, le CHU de Bordeaux et l’université de Bordeaux.
En tant que médecin au CHU de Bordeaux, vous avez choisi l’épidémiologie et non le soin. Pourquoi ?
Il existe plusieurs façons de soigner les patients. Pour ma part, je crée des passerelles entre les sciences médicales fondamentales et la pratique clinique – ce qu’on appelle la « médecine translationnelle » – pour accélérer les progrès. Si demain on trouve plus vite des vaccins plus efficaces, des millions de personnes seront mieux protégées.
Mes études de médecine en Allemagne ne me prédestinaient pas à cette orientation. Mais un stage à l’OMS (l’Organisation mondiale de la santé) m’a fait découvrir la santé publique, qui m’a captivée, et j’ai poursuivi dans cette voie. J’ai notamment fait une thèse sur les méthodologies des essais cliniques de vaccins VIH sous la direction de Rodolphe Thiébaut, le responsable de l’équipe-projet SISTM.
Avez-vous l’occasion de mettre en pratique vos travaux de recherche ?
Oui, constamment, puisque mon rôle au CHU de Bordeaux est d’épauler des collègues cliniciens qui mettent en place de « vrais » essais. En mars 2020 par exemple, nous avons participé à un essai clinique national sur des traitements contre la Covid-19. Malgré un nombre de patients plus faible que prévu, nous avons produit des résultats de qualité grâce à nos méthodes statistiques novatrices. Nous mettons aussi en œuvre des essais vaccinaux dans nos collaborations nationales et internationales.
En quoi consiste votre activité de professeure à l’université de Bordeaux ?
Je coordonne l’une des unités d’enseignement du master 2 Sciences des données en santé publique. Elle porte sur les données de génomique, protéomique et transcriptomique des essais cliniques, sur lesquelles je travaille aussi en tant que chercheuse.
Au-delà des connaissances, j’insiste sur la rigueur scientifique : les méthodes statistiques sont puissantes, mais pas magiques, il faut les utiliser avec discernement. J’inculque également à mes étudiants un solide esprit critique. De nouvelles méthodes sortiront ces prochaines années, et ils devront en apprécier l’intérêt et les limites.
Si vous deviez associer un style musical à votre métier, lequel choisiriez-vous ?
La musique électro du film Cours, Lola, cours, qui m’a marquée par son rythme soutenu. L’héroïne court littéralement, du début à la fin, pour sauver un proche… et elle y parvient. Ma vie, c’est un peu cela : courir, pour mener de front mes trois activités et pour raccourcir les essais cliniques sur les vaccins.