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Portrait

Patrick Joly, l’accordeur d’équipes de recherche

Portrait de Patrick Joly, l'équipe-projet Inria

Comme d’autres accordent des pianos, Patrick Joly crée une ambiance sans fausse note et des collaborations harmonieuses parmi les 30 chercheurs de l’équipe-projet commune qu’il a fondée en 2005, Poems. Leur domaine : la modélisation de la propagation des ondes.

Depuis vos débuts chez Inria en 1980, vous travaillez sur la modélisation de la propagation des ondes. À quoi sert-elle ?

Au départ, nous répondons le plus souvent à des demandes industrielles. Une société de prospection pétrolière veut affiner la détection de gisements souterrains par ondes sismiques. Un avionneur cherche à réduire le bruit de ses appareils. Un fabricant de pièces techniques améliore leur contrôle non destructif – c’est-à-dire sans dégradation des pièces – par ondes ultrasonores, etc.

Pour apporter des solutions, nous devons modéliser les ondes impliquées et concevoir des méthodes de calcul afin de simuler leur comportement. On passe à une démarche mathématique et théorique poussée qui nécessite des années de travaux et de thèses.

Malgré tout, il reste plus rapide et moins cher de simuler des ondes sismiques sur ordinateur que de multiplier les forages pétroliers sur le terrain, ou de comparer plusieurs avions virtuels dont on mesure le niveau sonore que de les fabriquer en grandeur nature. C’est ce qui intéresse les industriels. De notre côté, nous renforçons nos connaissances fondamentales sur différents types d’ondes : acoustique, élastique, électromagnétique, ondes de gravité…

Pourquoi avez-vous eu envie très tôt de créer des équipes de recherche multicompétences ?

Les ondes interagissent toujours avec d’autres milieux. Par exemple, j’ai besoin de connaissances en acoustique et en mécanique des fluides pour caractériser le bruit d’un avion en vol. Ou j’étudie aujourd’hui avec des physiciens des métamatériaux capables de dévier les rayons lumineux et de créer ainsi une sorte « d’effet d’invisibilité ».

« Onde », l’équipe de recherche que vous avez créée et dirigée à partir de 1996, était pourtant 100% Inria…

Je ne voulais pas brûler les étapes. À l’époque, l’objectif était d’afficher nos activités de modélisation de la propagation des ondes, car ce thème montait en puissance partout dans le monde, pour la prospection pétrolière. Onde est passée en quelques années à quinze collaborateurs !

Mais dès cette époque, nous tissions des liens avec des collègues de l’ENSTA et du CNRS qui travaillaient sur le même sujet. Nous nous croisions dans les conférences ou dans les couloirs de l’École polytechnique, où nous donnions des cours. Nous avons créé un séminaire de recherche commun. J’ai mené plusieurs projets scientifiques avec Anne-Sophie Bonnet-Ben Dhia, qui m’a succédé à la tête de l’équipe-projet en 2014, etc.

En devenant une équipe-projet commune, nous avons gagné en visibilité et attiré davantage de candidats de qualité. […] Et la cohabitation entre spécialistes de disciplines diverses a ouvert de nouveaux sujets de recherche.

Quel a été le déclic qui a donné naissance à l’équipe-projet commune en 2005, dénommée Poems ?

Il y a eu à la fois une envie des chercheurs eux-mêmes et un soutien fort de nos directions. Nous « vivions déjà ensemble ». Le stade suivant, c’était la reconnaissance officielle sous une signature commune. À cette époque, l’équipe-projet Onde est donc devenue l’équipe-projet Poems.

Quels bénéfices en attendiez-vous ?

En passant de 15 à 30 collaborateurs, nous avons gagné en visibilité et attiré davantage de candidats de qualité. Nous avons aussi élargi le cercle de nos contacts, plus industriels chez nous, plus académiques à l’ENSTA et au CNRS. Enfin, avec le déménagement sur le campus de Polytechnique, nous nous sommes installés dans des locaux neufs et spacieux de l’ENSTA, dont les étudiants représentent un important vivier de futurs doctorants.

Et sur le plan scientifique ?

Il n’y a pas eu de révolution. Mais les collaborations qui préexistaient (par exemple les coencadrements de thèses) sont devenues plus nombreuses. Et la cohabitation entre spécialistes de disciplines diverses a ouvert de nouveaux sujets de recherche. Exemple : j’ai abordé l’aéroacoustique chez Airbus grâce à la présence à mes côtés de collègues du CNRS, experts en mécanique et en acoustique.

Poems est réputée pour la qualité de son ambiance harmonieuse. À quoi est-elle due ?

Les chercheurs aiment travailler ici ; ils nous le disent souvent, et plus encore quand ils nous quittent ! La vie d’équipe est rythmée par les réunions de laboratoire deux fois par an ou les séminaires doctorants. De manière informelle, nous nous retrouvons le midi pour un point café et chaque trimestre, pour un repas convivial où chacun apporte un plat.

Nous veillons à entretenir cette dynamique à travers nos recrutements. Il nous arrive d’écarter des candidats excellents, mais qui ne sont pas au diapason du groupe. Car nous donnons leur chance aux prétendants qui s’intégreront le mieux dans Poems. Nous les aidons à monter leur dossier, à répéter leur audition, etc. Les heureux élus seront choisis par la direction.

Quelle métaphore musicale choisiriez-vous pour décrire votre métier ?

En dehors du travail, je prends des cours de piano et je joue pour mon plaisir, avec une prédilection pour le répertoire classique. vient est celle de l’accordeur, dont les réglages subtils font « sonner » ensemble les quelque 250 cordes de l’instrument. C’est sans doute aussi difficile que de faire travailler harmonieusement 30 scientifiques !

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